Vo Nguyên Giap à travers un livre d’entretiens d’un historien français

Le livre d’entretiens que notre ami Alain Ruscio (1) a publié sous le titre Vo Nguyên Giap, Une vie est une lecture indispensable pour quiconque souhaite connaître et comprendre le général dont le prestige et la popularité sont immenses dans sa Patrie. Nous en extrayons quelques bonnes pages qui éclairent comment un civil devient un dirigeant militaire.

>>Vo Nguyên Giap vu par des généraux
Il y a une chose qui est tout de même étonnante. Vous insistez sur l’explication fondamentalement politique- les fameux liens avec les masses - de vos succès croissants de cette période, jusqu’à la Révolution d’Août. Je veux bien vous croire. Mais, enfin, il faut bien aborder les problèmes proprement militaires. Et vous ne disposez pratiquement pas d’armes, au moins jusqu’au printemps 1945…

- Oui, c’est vrai. Moi-même, je n’avais aucune formation militaire. Lorsque les camarades, à Hanoi, début 1940, avant que je me rende en Chine, m’ont signifié la décision du Parti de préparer la lutte armée, je suis allé à la Bibliothèque centrale. J’ai cherché dans le Grand Larousse, les différents articles concernant les techniques militaires. Je me souviens, par exemple, de l’article «grenade», J’essayais de comprendre, mais c’était difficile ! «grenades offensives», «grenades défensives», «détonateurs». Je ne savais pas ce qu’était un détonateur !

La couverture du livre Vo Nguyên Giap, Une vie.
Photo : PF/CVN

Et c’était seulement un peu plus de dix ans avant Diên Biên Phu… Et c’est vous qui, finalement, êtes chargé de la direction militaire du mouvement.
- De toute façon, aucun d’entre nous n’avait de réelle formation militaire ! Pourquoi moi ? Peut-être parce, lorsque j’étais journaliste au Tiêng Dân (La voix du peuple), à Hanoi, j’avais souvent écrit des articles sur la guerre révolutionnaire chinoise, sur Mao Zedong, sur Zhu De, qui avaient donné naissance à un opuscule, «Pour connaître la situation en Chine», mais je savais mieux manier la plume que le fusil ! Plus tard, l’Oncle Hô me disait souvent que nous devions nous imprégner certes des idées politiques du communisme, mais que nous devions également étudier l’art militaire. Dans le Viêt Bac, nous n’avions pas de manuel d’instruction. Nous nous étions donc procuré un vieux manuel de l’armée française. Nous avions seulement traduit les passages que nous trouvions applicables à notre armée révolutionnaire. À la place de «une ! deux !», nous disions «môt ! hai !». Et c’est ainsi que les premiers éléments de l’armée populaire ont appris à (mal) marcher au pas grâce à un vieux manuel colonial. Plus tard encore, lors de la première guerre de résistance, j’avais emporté avec moi la version française De la guerre, de Clausewitz, auteur que Lénine tenait en haute considération, malgré ses opinions féodales.
Pour faire la guerre, même de guérilla, il faut tout de même des armes ! Où les trouviez-vous ?

- Là où il y en avait : chez l’ennemi, Français ou Japonais. Chaque milicien d’autodéfense, ou Tu Vê, était personnellement responsable de se procurer des armes. Mais c’était souvent des armes blanches. Nous pûmes aussi acheter quelques fusils à des trafiquants chinois. Moi-même, tout à fait à l’origine, je ne possédais qu’une seule grenade, attachée à la ceinture. Mais je dois l’avouer : elle était hors d’usage. Je crois que l’effet psychologique n’est jamais à négliger. Il fallait montrer que nous étions des combattants. Puis, au fur et à mesure que le combat s’amplifiait, nous pûmes nous procurer des armes. Au moment de la Révolution d’Août, nous avions des fusils de bien des types différents, de bien des origines différentes : française, américaine, chinoise, japonaise. Nous avions même récupéré, lors des combats avec les Japonais, des fusils russes de l’époque tsariste !

L’historien français Alain Ruscio (gauche) s’entretient avec le général Vo Nguyên Giáp et sa femme.


Sur combien d’hommes pouviez-vous alors compter ?
- Environ un millier.
Comment était organisé cet embryon d’armée ?
- Dans les tout premiers temps, nous avons organisé les Tu Vê. C’était des organisations paramilitaires chargées de la protection de nos bases et du harcèlement de l’ennemi. Les jeunes garçons, les jeunes filles, se sont bien battus. Puis, nous sommes passés à de petits groupes, en plus de ces Tu Vê. Ces groupes étaient composés de soldats, c’est-à-dire que, contrairement aux miliciens, ils avaient comme seule et unique tâche de se consacrer à la préparation militaire. Ils étaient organisés autour des éléments les plus sûrs politiquement, les membres du Parti. Leur formation politique était très poussée. Par la suite, le 22 décembre 1944, nous avons enfin organisé notre première «Brigade de propagande armée» : 34 hommes armés ! Cela paraît peu, mais c’était déjà, en soi, l’aboutissement d’un assez long processus.
Aujourd’hui, cette date marque symboliquement la naissance de notre armée populaire. Mais, avant une naissance, il y a la gestation. Le nom lui-même de «Brigade de propagande armée» est significatif. À la demande pressante de l’Oncle Hô, nous avions tenu à souligner, encore et toujours, jusque dans l’appellation, le primat de la propagande, donc de la politique, sur la simple lutte armée. Par exemple, lors de nos combats, encore petits, avec des garnisons françaises, nous nous assurions à l’avance de la complicité des tirailleurs vietnamiens, que les Français appelaient encore «Tonkinois», avant l’assaut.

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