Vietnam : une société de communautés

L’Histoire du Vietnam parle pour elle. Ses habitants ont grandi et élevé leurs enfants dans une vision communautaire, où le concept de vie privée est quasi absent. Illustrations.

Les Vietnamiens vivent dans un environnement où la barrière entre espace public et espace privé est floue, voire inexistante. Où l’individualité est celle de la société entière. Une manière et de penser à l’opposée de celle qui prévaut dans les pays occidentaux. Cet esprit communautaire vient en grande partie de la campagne. Selon le sociologue Trân Ngoc Thêm, qui a étudié l’identité de la culture vietnamienne, «la riziculture inondée et son caractère hautement saisonnier ont obligé les habitants à rester solidaires les uns des autres, et à former des clans». Un caractère qui s’est ensuite généralisé et qui est arrivé en ville, notamment avec l’exode rural.

Rue Bà Triêu, Hanoi, une dizaine de commerces de cacahuètes sont installés en corporation.


En observant un peu, à Hanoi, les détails qui le montrent sont omniprésents. Les restaurants et commerces de rue en sont un parfait exemple. Qu’ils soient coiffeurs, vendeurs de fruits ou de cigarettes, ils inondent tous l’espace public de manière aléatoire. Même si, dans ce désordre apparent, chacun a une place bien définie, au prix de négociations avec les forces de police locales. En se promenant dans les rues de Hanoi, on a en fait l’impression que la chaussée appartient à ses habitants, que le trottoir est le prolongement de l’habitation. Et les illustrations pleuvent. Ces femmes que l’on voit se promener dans la rue en pyjama, surtout en début de soirée, sont chez elles même dehors.
Pas de notion de pudeur

Vous pouvez avoir devant vous la femme la plus élégante du Vietnam, cela ne l’empêchera pas de roter à côté de vous sans s’excuser, et ce sans que quiconque n’y prête attention. Sauf moi. Parce que ce n’est pas ma culture. Et si c’est à l’inverse très bien vu au Maghreb, c’est ici tout à fait anodin, alors que ce pays ne badine pas avec l’apparence physique. À cette anecdote surprenante, je peux ajouter les crachats des hommes, mais aussi des femmes dans la rue, qui, expérience vécue à l’appui, atteignent un niveau de décibels qui peut couvrir le bruit du chaos de la circulation.
Moins fréquent, il arrive que certaines personnes confondent la rue avec des toilettes. Sans se poser a priori la question de savoir si le lieu est fréquenté ou non. Enfin, si l’expérience ne m’est pas arrivée personnellement, on peut aussi évoquer les séances chez l’oto-rhino ou le dentiste à la vue des passants et des autres patients. Car les cabinets d’auscultation «populaires» ne sont constitués que d’une seule et grande pièce, comprenant la salle d’attente, et de grandes baies vitrées ouvertes sur la rue. De quoi en freiner plus d’un !
Une sieste pour digérer

Dans un registre plus discret, il n’est pas rare de voir des Vietnamiens dormir dans la rue, le conducteur de xe ôm sur son moto-taxi, ou les vendeurs de rue – hommes ou femmes - sur leur matelas de fortune, attendant tous patiemment (ou non) qu’un client daigne les solliciter. De leur côté, les fonctionnaires font de même, mais sur le lieu de travail, la fameuse sieste pour digérer. Les exemples se bousculent. Les habitants laissent souvent leur maison grande ouverte sur la rue, laissant au passant le soin d’apercevoir ce qu’ils regardent à la télé, ou ce qu’ils mangent. Dans les restaurants «populaires», les femmes font la vaisselle directement sur le trottoir ; et les clients ne jettent pas leurs déchets dans le coin de leur assiette mais directement au sol.

Dans les restaurants de rue, on fait la vaisselle à même la chaussée, dans un espace public que l’on se réapproprie.


Quelle qu’en soit la quantité. Une habitude difficile à concevoir pour un esprit occidental mais il est vrai tellement jubilatoire ! Quant à ma supérette de quartier, les jeunes vendeuses qui y officient prennent leur repas au milieu des rayons, empêchant le chaland quelque peu embarrassé de se servir en sauce soja et autres jus de fruits.
Les rues spécialisées, un concept typiquement local
Les villes vietnamiennes sont connues pour cette caractéristique dont les touristes sont friands : les rues de la ville sont souvent spécialisées dans un type de produit particulier. Phô Huê pour les casques, avenue Lê Duân, près de la gare, pour les lunettes, coté Est de la chaussée, et en chaussures pour hommes en face, coté Ouest. Et si vous la descendez un peu, vous tomberez sur des centaines de luminaires. Enfin, pour aménager la maison, vous pouvez passer par Trân Nhân Tông, une dizaine de boutiques proposent des petits meubles en bambou.

Dormir dehors ou en public, une habitude pour de nombreux Vietnamiens, en particulier les xe ôm (motos-taxis).


Une liste loin d’être exhaustive. D’un point de vue concurrentiel, tout occidental affirmerait qu’il est contre-productif de s’installer au même endroit pour vendre la même chose. Pourtant, quand on interroge un peu les commerçants, on se rend compte que ce concept est vu bien différemment. À Bà Triêu, les vendeuses de cacahuètes ne se font pas la guerre : «si le client va chez le voisin aujourd’hui, ce n’est pas un problème, il viendra chez nous demain», nous a indiqué l’une d’entre elle. Il n’est de fait pas question de concurrence, mais plutôt de partage. Des clients et donc des bénéfices. Ils ont en fait tout à y gagner. Une manière de faire du commerce qui remonte au XVIIe siècle, lorsque les ressortissants des villages de métier se sont installés en ville par corporation.
De manière générale, même si les Vietnamiens oublient volontiers cette notion quand ils conduisent leur moto, ils raisonnent en commun, quitte à ne pas laisser leur pensée s’exprimer. Les écoliers portent l’uniforme. Et il est souvent complexe de partager un point de vue différent. Car l’esprit communautaire tend vers l’homogénéité. Toutefois, contrairement à l’Occident, on peut se promener en pyjama dehors, avoir sa petite natte pour faire sa sieste au boulot, être à 3 ou 4 sur une moto, ne pas avoir les yeux rivés sur le compteur quand on conduit. Des choses que l’on peut se permettre sans qu’aucun regard inquisiteur ne se pose sur vous, et qui finalement procurent un réel sentiment de liberté.

Texte et photos : Éloïse Levesque/CVN

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