Viande de chien et cultures

Il semble qu’au Vietnam la viande de chien soit un sujet tabou, à ne pas aborder dans la presse destinée aux étrangers et dans les conversations avec eux.

>>À ne pas mettre un chien dehors !

Un restaurant de chien à Hanoï avec des panneaux très saillants.
Photo : CTV/CVN

J’avoue que je me sens toujours gêné quand je passe avec un ami étranger devant une gargote où sont exposés quelques cuisses ou arrière-trains ornés d’une queue en vrille de caniche. À Hô Chi Minh-Ville, les restaurants de chien ne sont pas nombreux, à Huê encore moins, mais à Hanoï, c’est un véritable boom depuis la vogue de la bière. En dehors des restos de longue date, rue Công Chéo Hàng Luoc, marché Châu Long, temple de la Littérature, porte Ô Quan Chuong, poussent ces restaurants comme des champignons au village Nhât Tân, dans l’impasse Lê Van Huu, etc.

Expériences des amis étrangers

Darin Neely, jeune enseignant américain à Hanoï, me confie : «Quand aux États-Unis, j’ai dit à mes collègues que j’allais revenir au Vietnam, il a fallu quatre minutes pour que fuse la question : +Est-ce qu’ils mangent du chien là- bas ?+ Et puis, une autre question, inévitable : +Est-ce que tu en mangeras ?+ J’ai répondu par une bravade : +Mais oui !+ Une série d’exclamations attendues : +Oh ! Ah !+, +Mon Dieu !+, +Comment pourrais-tu... ?+

J’ai riposté par un sermon sur le respect des autres cultures, la relativité culturelle et le rôle de l’expérience dans toute approche culturelle, ou comme disent les Vietnamiens : An cho biêt (On prend un morceau pour savoir ce que c’est). Mon amie suédoise Agneta, éprise de culture vietnamienne, voulait An cho biêt, elle aussi. Un jour, nous avons été invités à une maison communale dans la province de Hà Tây (actuellement rattachée à Hanoï).

Au banquet, on nous a servi du chien. Par délicatesse, on a mis en plus sur notre table du cochon et du poulet. Agneta a commencé par s’attaquer à ces dernières viandes. Soudain, les traits de son visage se sont crispés, trahissant une lutte intérieure. Elle prit un morceau de chien avec ses baguettes, le mâcha rapidement pour l’avaler en fermant les yeux. Elle ouvrit les yeux tout de suite, et rayonnante de joie, proclama : «Délicieux !». On aurait dit qu’elle venait de conquérir le Fan Si Pan, le plus haut pic du Vietnam, ou d’atterrir au nouveau Monde, et son expérience devait s’arrêter là, puisqu’elle est retournée au cochon et au poulet.

Il est difficile à refuser

Darin Neely, lui, a longtemps hésité avant de goûter au chien, afin d’avoir quelque chose de piquant à raconter au sujet de ses souvenirs de voyageur. «J’étais hanté par l’histoire que m’avait racontée mon père à propos de son chien qu’il avait tué accidentellement par un coup de fusil. Il l’avait pleuré comme un ami intime. Je me suis rappelé aussi comment j’avais souffert, tout petit, quand le chien de la maison avait disparu... J’en suis arrivé à un compromis avec ma conscience : je ne chercherai pas à manger du chien ; mais je ne le refuserai pas si l’on m’invite...».

Finalement, ce sont les étudiants qui ont invité Darin Neely. Au village Nhât Tân, tandis qu’il montait sur le perron du resto, il se sentait excité et ivre comme un adolescent qui se glisse dans un bar pour la première fois : «J’avais l’impression, remarque-t-il, que mes étudiants éprouvaient la même impression... On apporta le premier plat. Les rires et les paroles s’éteignirent. Je riais, le rire de quelqu’un qui voulait cacher son embarras. L’étudiant à ma droite plaça un morceau de chien entre deux feuilles de salade. Je trempai ce sandwich dans du pâté de crevettes... Je dis : +O.K !+ ...

«La conversation s’anima avec les rasades de vin de riz. Elle tourna bientôt autour de la question de savoir si la viande de chien était plus aphrodisiaque que la viande de chèvre. Après quelques plats, j’ai senti qu’en cette froide journée d’hiver, je n’étais plus un étranger, seul ici. Je sentais que la camaraderie nous avait liés pour quelque chose de commun. Je sentais que mes étudiants ne considéraient pas la viande de chien comme d’autres viandes, du poulet ou du porc, qu’elle était plus forte. Pour eux, manger du chien, c’était se donner de la liberté. Une occasion de se lier comme dans un club».

La viande de chien peut être transformée en différents plats, au moins sept.
Photo : Truong Trân/CVN

Darin Neely a conclu que désormais il n’irait pas chercher du chien, mais qu’il ne la refuserait pas s’il était invité à en manger. «Il se rappelle la chaude camaraderie, l’ivresse et l’excitation que le chien de ses grands-parents lui avait apportées quand il était un enfant». Manger du chien avec les amis vietnamiens lui a apporté la même sensation. Comme Darin Neely, pas mal de Vietnamiens sont allergiques à la viande de chien. Nous n’avons pas de statistiques sur le nombre de «mangeurs de chien» chez nous, mais je suis sûr qu’ils ne sont pas la majorité, du moins en ville. Les femmes et les bien-pensants en général s’en abstiennent. À la pagode, il est formellement interdit de servir du chien. L’étude de la psychologie des mangeurs de chien pourrait étoffer une thèse de doctorat originale pour l’anthropologie culturelle.

Le chien est aussi apprécié chez nous pour sa fidélité. On le déifie même sous forme de chien de pierre, gardien du village, des temples... Et pourtant, on le mange. C’est comme en Occident, on mange sans réticence le cheval, considéré aussi comme ami de l’homme. Affaire de culture ! D’autres peuples mangent du chien : les Chinois du Sud, les Coréens, les Muong, les Tày... Il y a quelques années, j’ai appris à Hawaï que les indigènes offrent en sacrifice aux divinités la viande de chien qu’ils considèrent comme un article le luxe. Le voyageur Ellis notait en 1839 qu’il avait vu 200 chiens abattus pour un banquet.


Huu Ngoc/CVN

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