Une pincée de piment et une pointe de jalousie

Épice préférée des Vietnamiens, le piment est aussi le symbole de la jalousie féminine. Nombre de proverbes et d’expressions littéraires en sont inspirés.

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Le piment est très populaire au Vietnam.
Photo : Truong Trân/CVN

Le piment est un condiment courant au Vietnam, surtout dans la cuisine du Sud et du Centre où, notamment à Huê, l’on en saupoudre le bouillon clair. Comment se fait-il que dans tous les pays chauds, on recherche la sensation de brûlure que provoque le piment ? Un jeune de mes amis qui est médecin traditionnel à ses heures, donne cette réponse : "L’univers, macrocosme et microcosme, est régi par les principes mâle (Yang), et femelle (Yin). Quand il fait chaud à l’extérieur (Yang), l’organisme doit secréter les fluides Yin du froid pour rétablir l’équilibre interne. Si l’on prend en été de la glace (Yin), l’organisme réagit en produisant du Yang (chaud). Ainsi la glace, tout en donnant une fraîcheur, créera peu après une sensation de chaleur. Par contre, si l’on prend du piment (Yang, chaud), l’organisme réagit par des fluides Yin (froid) qui viendront après la sensation momentanée de brûlure".

Différentes variétés de piments

Au Vietnam, on utilise le piment fort soit frais, séché ou en poudre. Il existe plusieurs variétés : ot cua gà (piment ergot de coq, de couleur jaune), ot chi thiên (piment pointant vers le ciel ou Piment longum), ot chi dia (piment pointant vers la terre ou Piment annuum), ot hat tiêu (piment-poivre, très petit et très piquant), ot gai (Capricum minimum), ot sung bò (piment corne de bœuf, ou poivre de l’Inde), ot tròn (piment rond), ot vàng (piment jaune ou Capricum frutescens).

Dans la langue française, le mot "piment" évoque une saveur piquante mais agréable. On dit par exemple : le piment de l’aventure, donner du piment à une histoire. En vietnamien, le mot "ot" fait plutôt allusion à une amère déception, à une vive contrariété mêlée de colère causée par un amour-propre blessé, un grand désespoir. Quand on se fait avoir, on dit "can phai ot" (tomber sur un morceau de piment). Un candidat recalé à un examen se plaint : "Thi không an ot thê mà cay !" (Sans avoir mangé du piment à l’examen, j’ai eu la sensation d’une brûlure !).

Mais le piment est surtout symbole de la jalousie féminine. La comparaison est claire :

"Ot nào là ot chang cay ?
Gái nào là gái chang hay ghen chông ?"

(Quel piment ne pique pas ?

Quelle femme n’est pas jalouse ?)

La jalousie de Hoan Thu

Une scène de la pièce "Histoire de Kiêu" de Nguyên Du.
Photo : ST/CVN

Dans la littérature classique et populaire vietnamienne, la jalousie féminine est incarnée par Hoan Thu, personnage du célèbre roman Histoire de Kiêu de Nguyên Du, XVIIIe siècle. D’une femme jalouse, les Vietnamiens disent qu’"elle a le sang de Hoan Thu" dans ses veines. Kiêu, une jeune fille belle et talentueuse, est obligée de vendre son corps pour payer les dettes de sa famille, sacrifiant ainsi ses sentiments amoureux. Pendant quinze ans, elle mène une vie dissolue, comme prostituée, concubine, femme de brigand. Mais son cœur reste pur et fidèle à son premier amour.

Voici dans quelles circonstances Kiêu est tombée entre les mains d’une femme jalouse. Pendant son séjour dans une maison close, elle fait la connaissance d’un marchand aisé, Thúc Sinh, dont elle apprécie le caractère honnête et l’amour sincère. Elle accepte qu’il la rachète et fasse d’elle sa concubine. Hoan Thu, la femme de Thúc Sinh, qui habite au loin, a vent de l’affaire. Elle la fait enlever par des gredins et la soumet à toute une série d’épreuves diaboliques, l’humiliant ainsi que son mari. Elle oblige Kiêu à se faire bonzesse.

Finalement, celle-ci réussit à s’enfuir. Le destin l’unit à un brigand généreux qui, pour la consoler, fait arrêter tous ses anciens bourreaux et lui laisse le soin de décider de leurs châtiments. Quand Hoan Thu comparaît devant elle, Kiêu l’interpelle ironiquement :

"Tiêu thu cung có bây gio dên dây
Dàn bà dê có mây tay"

(Madame, vous voilà ! Ce jour arrive donc !

Des femmes de votre trempe, on n’en connaît pas beaucoup)

Hoan Thu se prosterne et plaide humblement sa cause :

"Rang tôi chút da dàn bà,
Ghen tuông thì cung nguoi ta thuong tình

Lòng riêng, riêng nhung kính yêu
Chông chung chua dê ai chiêu cho ai"

(Je ne suis qu’une pauvre petite femme,

La jalousie n’est-elle pas commune à toutes les femmes ?

En moi-même, je vous respectais,

Mais se partager un mari, il était difficile de se sacrifier).

S’apitoyant sur le sort de Hoan Thu et le destin de toutes les femmes, Kiêu la libère. L’arrière-goût du piment reste dans la mémoire gustative mais la douleur, elle, a disparu.

Huu Ngoc/CVN
(Décembre 1999)

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