Trois générations d’expatriés vietnamiens

Le nombre de migrants vietnamiens dans 90 pays du monde pourrait s’élever à plus de quatre millions. Le journaliste Huu Ngoc nous parle des migrants des décennies 70-80, établis dans les pays occidentaux et la masse des coopérants, travailleurs, étudiants dans les anciens pays socialistes de l’Europe de l’Est.

Les Vietnamiens, peuple de paysans, quittaient rarement la haie de bambous de leurs villages. Ils étaient attachés à leurs rizières où reposaient leurs ancêtres dont le culte était sacré.

Des jeunes Viêt kiêu visitent le monument commémoratif de l’ancien Premier ministre Pham Van Dông (1906-2000) dans sa province natale de Quang Ngai (Centre). Cette visite s’inscrivait dans le cadre de la 8e colonie de vacances des jeunes Viêt kiêu au Vietnam en 2011. 

Au fil de l’histoire, jusqu’aux décennies 70-80 du siècle dernier, les migrations relativement importantes se sont orientées vers les pays voisines, le Laos, le Cambodge la Thaïlande et la Chine. La diaspora vietnamienne en Thaïlande, qui compte plus de 40.000 personnes, s’était formée dès la fin du XVIIIe siècle avec les débris de l’armée des Nguyên chassés par les Tây Son. À eux se sont ajoutés aux XXe siècle des pauvres gens chassés par la faim et, au cours de la première guerre d’Indochine des dizaines de milliers de migrants vietnamiens venus au Laos où ils s’étaient établis. Un deuxième foyer d’émigration importante était la France qui comptait avant la fin de la colonisation en 1945 des dizaines de milliers de Vietnamiens.

La plupart d’entre eux étaient des soldats et des ONS (ouvriers non spécialisés) envoyés de force par l’administration coloniale pour la métropole pendant les deux grandes guerres mondiales.

Le nombre de migrants vietnamiens dans 90 pays du monde pourrait s’élever à plus de quatre millions. Dans cet article, nous ne parlons que des migrants des décennies 70-80 et de leurs enfants et petits-enfants, des boat people et réfugiés politiques établis dans les pays occidentaux et la masse de coopérants, travailleurs, étudiants restés dans les anciens pays socialistes après la dislocation de l’Europe de l’Est.

La première génération d’expatriés, confrontée à un choc culturel, ne peut éviter un amas de complexes qui ne facilitent guère son intégration dans une société étrangère. «L’Occident, c’est l’Occident… », le mot de Kipling semble vrai dans ce cas.

Trois options dans le choix d’un comportement

Le choix d’un comportement à l’égard du pays d’adoption n’est pas aisé. Trois attitudes sont possibles, selon le professeur Bùi Trong Liêu, Docteur en mathématiques de Paris. Première option : attitude de l’autruche, s’enfermer dans sa famille et sa communauté pour préserver son identité nationale autant que possible, tournant le dos à la culture du pays adoptif. Deuxième option : faire peau neuve en s’intégrant sous réserve à la nouvelle communauté ; rompre avec les traditions culturelles du pays d’origine. Bùi Trong Liêu réprouve ces deux positions extrémistes : «Elles ne rapportent rien aux points de vue réaliste et sentimental. L’isolement est désavantageux parce que si l’on n’est pas lié à la communauté, on perd matériellement et moralement, on ne peut conquérir la sympathie des nouveaux compatriotes, on ne bénéficie pas d’une autre culture. D’autre part, l’intégration totale à la nouvelle communauté, et l’ignorance totale de son pays d’origine sont non moins négatifs parce qu’on perd une richesse culturelle. L’attitude la plus raisonnable, c’est de s’attacher à la nouvelle Patrie, matériellement et sentimentalement, d’être un bon citoyen du pays d’adoption, tout en se tournant avec sa famille et sa diaspora vers son pays d’origine.»

Il va sans dire que les expatriés de la première génération, ayant vécu au Vietnam pendant de longues années, souffrent de la rupture dans leur chair et leur sang, surtout quand on passa le soir de sa vie à l’étranger…

Le peuple vietnamien aime la poésie. Point n’est étonnant que plus d’un expatrié âgé exhale sa nostalgie du pays natal en vers. À San José, en regardant les gouttes de pluie printanière tombé, dans un silence accablant, mon ami Dang Xuân Mai m’écrit :

«À l’autre bout du monde est mon pays

Lourd est mon cœur, immense ma tristesse».

Mais la génération d’expatriés ne manque pas d’énergie et de savoir-faire. Ils ont pu vaincre d’innombrables obstacles, faire carrière, forcer l’admiration et l’estime de la société nouvelle. Tel est le cas de la diaspora vietnamienne en Pologne, composée en grande partie d’intellectuels et de gens sérieux.

Préserver l’identité culturelle nationale

Le grand souci des parents de la première génération est que leurs enfants et petits-enfants, voguant dans la culture occidentale, essentiellement matérialiste, finirent par ne garder aucune parcelle de vietnamité. Bùi Bao Truc, établi aux États-Unis, nous confie : «En 1975, ma tante a refusé d’aller vivre en Amérique bien qu’elle avait la possibilité de le faire. Son raisonnement était très simple : + Mes fils épouseront des Américaines, deviendront des chrétiens, leurs enfants se souviendront-ils de leurs ancêtres dont nous perpétuons le culte ?+. Aujourd’hui, je trouve qu’elle a raison, quand je vois mes enfants s’américaniser de plus un plus, perdant au fil des jours le peu de vietnamien que je me suis efforcée de préserver en eux... Pour les membres de la deuxième génération, le seul souvenir du Vietnam qui leur reste est peut-être leurs noms. Selon la coutume vietnamienne, leurs pères s’étaient creusés la cervelle pour leur donner des noms significatifs, ne se doutant guère qu’un jour ces derniers n’auraient plus de sens en terre étrangère».

En l’an 2000, Nguyên Quôc Suy a mené ses enfants au Vietnam. Occasion pour lui de constater combien le Vietnam les a affectés différemment, lui et ses enfants. «Je regardais le pays natal avec les yeux du passé, les souvenirs d’antan. Mes enfants avaient lu attentivement un guide touristique. Leurs impressions étaient inspirées par le livre. Les deux générations néanmoins se mettaient au même diapason sur un point : le Vietnam est riche en paysages surprenants, enchanteurs… Tandis que les jeunes étaient indifférents aux vestiges historiques, nous, les vieux, aimions visiter les anciennes pagodes et les sanctuaires d’un autre âge».

Comment s’est réalisée l’acculturation Est-Ouest chez les membres de la deuxième génération ? M. Suy cite le cas de ses deux enfants. En classe de dixième, son fils lui a posé des questions métaphysiques embarrassantes. Il l’a amené à l’église pour lui faire écouter des sermons et lui a recommandé d’explorer la philosophie orientale. Finalement, son fils s’est fait protestant, refusant le culte des ancêtres. Sa fille, à l’université, a choisi l’étude de deux disciplines facultatives, le bouddhisme et l’orientalisme, elle s’est mise à fréquenter les pagodes.

Sans passer par le choc de la première génération, la deuxième génération est tourmentée par le problème de son identité, étant tiraillée entre deux cultures parfois opposées.

La meilleure solution serait celle proposée par Bùi Trong Liêu : s’identifier totalement avec la nouvelle Patrie, tout en cultivant les meilleures valeurs culturelles de ses ancêtres et en gardant des contacts fraternels avec son pays d’origine.

La pensée orientale prêche l’harmonie

Tel est le cas de la jeune Lê Thuy Doan de Los Angeles. Bouleversée par le spectacle télévisé des terribles ravages causés au Centre Vietnam par les typhons et raz de marée, elle a organisé avec ses camarades d’école une collecte pour venir en aide aux victimes. Leur action n’a par tardé à recueillir l’adhésion de leurs parents et des adultes de la région. On a pu ramasser en quelques heures 63.000 dollars. Mai Lan, jeune journaliste vietnamienne de Paris, a publié dans le revue Esprit un article sur l’intégration vietnamienne dans la société française. Elle conclut que cela ce n’est pas très difficile : étant donné que la pensée orientale prêche l’harmonie dans toute société et le culte des anciennes traditions.

L’évolution psychologique et spirituelle de la troisième génération est moins complexe, le choc culturel, la crise identitaire et le complexe racial ayant presque disparu. Le journaliste vietnamien Nguyên Hoàng Linh de Budapest a fait venir son jeune enfant au Vietnam pour un séjour de trois mois. Quelque temps après, à l’école hongroise, le petit a parlé de ce séjour dans une composition de quinze lignes. Il a écrit : «Pourquoi j’aime tellement le Vietnam ? Parce que je suis Vietnamien, certes… Dans l’avion, j’avais le cœur lourd de quitter le Vietnam, mais j’étais aussi heureux de revenir à la merveilleuse Hongrie». Un témoignage entre autres.

Huu Ngoc/CVN

 

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