Souvenirs de Cao Bang

Le nom d’un village reste un simple nom tant qu’il ne vous rappelle pas des souvenirs personnels. Cao Bang, nom de la province jouxtant la Chine, et fief des Tày, minorité ethnique la plus nombreuse du Vietnam, m’évoque beaucoup de choses.

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Cao Bang (Nord) vue du ciel.
Photo: CTV/CVN

ur l’écran de ma mémoire se profile tout d’abord la forte silhouette de Bê Ngoc Bao, Tày natif de Nuoc Haï à Cao Bang. Il était mon ami, mon compagnon de classe en Philo au Lycée du protectorat et en Fac de droit à Hanoï. Nous avons professé quelque temps à Vinh (province centrale de Nghê Anh). Devenu Tri Châu (mandarin administrant d’un district de montagne), il s’est rallié à la Révolution de 1945 dès la première heure. Quelques années après Diên Biên Phu, il fut responsable des affaires culturelles d’une région pluriethnique. Il fut hélas tué par des pirates, en pleine montagne au cours d’une tournée d’inspection.

Vicissitudes de l’histoire

Ma seconde séquence de réminiscences sur Cao Bang me ramène à la guerre contre la reconquête française, au temps de la bataille des frontières en 1950. Officier politique, je dirigeais alors un bureau chargé de rédiger des articles et documents destinés aux camps de prisonniers de guerre (P.G.) européens et africains. Il s’agissait de gagner ces derniers à notre cause en leur montrant qu’ils avaient servi une "sale guerre" à l’encontre de l’intérêt des peuples et de leur propre intérêt. J’ai eu ainsi l’occasion de visiter les camps de P.G., en particulier de parler plus d’une fois aux camps de P.G. officiers établi à Cao Bang. Ici comme dans d’autres camps, les détenus ont constitué un Comité de paix et de rapatriement pour exiger la fin des hostilités. Je me rappelle que le P.G. capitaine-médecin Pédoussaut avait déclaré: "Nous avons dû opérer une totale révision des valeurs et sommes indignés de la poursuite stupide et cruelle de cette guerre".

Des Tày à Cao Bang.
Photo: DTMN/CVN

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis Diên Biên Phu. J’ai eu le temps de ressasser tous ces souvenirs lors de mon récent voyage à Cao Bang, occasion de revoir le pays et de faire de nouvelles découvertes.

Dans le subconscient collectif des Viêt, Cao Bang, couverte à 90% de montagnes et de forêts, évoque une contrée lointaine et mystérieuse, l’extrême-Nord. Dans une vieille chanson populaire, un soldat envoyé là en garnison prenait ainsi congé de sa femme:

"Rentre ma mie, occupe-toi de maman et des gosses
Afin que j’aille jusqu’aux montagnes et eaux de Cao Bang"
(Nàng vê nuôi cái cùng con
Dê anh di tray nuoc non Cao Bang)

Un territoire militaire

À l’aube de notre histoire s’étaient constituées plusieurs principautés de Tày sur le territoire actuel de Cao Bang et en partie sur celui de l’actuelle province chinoise de Guangxi. Au fil des siècles, il y eut des périodes où les chefs Tày ont réussi à faire de Cao Bang un fief autonome en acceptant la vassalité des Cours de Chine et du Vietnam.

1941

En 1941, après 30 ans d'activités révolutionnaires de par le monde, Hô Chi Minh a établi le Q.G. de la révolution vietnamienne dans la grotte de Pác Bó de Cao Bang.

Mais dès le IIe siècle av. J.-C., le sort des Tày fut lié à celui du Vietnam. En effet, le premier État Viêt, Van Lang des rois Hùng, fut annexé par le chef Tày, Thuc Phán (devenu roi An Duong Vuong), pour devenir le Âu Lac (fusion des Lac Viêt et des Tay Au). Ce dernier mena une résistance victorieuse contre les Chinois de l’empereur des Qing. Mais en 179 av. J.-C., le Vietnam fut envahi par un seigneur de guerre chinois et devint en 111 av. J.-C. colonie chinoise pendant plus de 1.000 ans. Au XIe siècle, Nùng Tri Cao, considéré comme héros des Tày, a lutté vaillamment contre les Chinois.

Au XVIe siècle, sous la dynastie des Mac, le Vietnam avait connu une floraison culturelle remarquable, surtout en architecture, en sculpture et en céramique. La maison communale (dinh) typique du village traditionnel vietnamien avait trouvé à cette époque sa silhouette définitive. Chassés du delta du fleuve Rouge, les Mac s’étaient réfugiés dans le Cao Bang jusqu’à la décennie 70 du XVIIe siècle.

Au cours de mon voyage, j’ai découvert avec beaucoup de surprise à Hoà An deux magnifiques cloches en bronze Mac qui comptent parmi les plus grandes de notre pays, dans l’enceinte d’une pagode de Hoà An.

L’administration coloniale française fit de Cao Bang un territoire militaire. En 1941, après 30 ans d’activités révolutionnaires de par le monde, Hô Chi Minh a établi le Q.G. de la révolution vietnamienne dans la grotte de Pác Bó de Cao Bang. La province est devenue le foyer du Viêt Minh, Front national qui devait reconquérir l’indépendance du pays en 1945. La victoire des frontières en 1950 fit sauter le verrou français de la frontière sino-vietnamienne, la route N°4 entre Cao Bang et Lang Son. Elle préluda celle Diên Biên Phu en 1954.

Comme nous l’avons vu, la contribution de Cao Bang et des Tày à l’histoire nationale est importante. Cultivateurs (riz, arbres fruitiers, plantes industrielles, anis, cannelle…) et éleveurs, les Tày ont le niveau économique et culturel le plus développé parmi les minorités ethniques. À l’inverse des Thaï, ils ont adopté des Viêt leurs pratiques religieuses (confucianisme, taoïsme, bouddhisme) en plus de leurs cultes traditionnels. Ils ont aussi un riche folklore (littérature en idéogrammes nôm Tày, chants-poèmes du mariage, cérémonie de récupération de l’âme du buffle, fêtes populaires pittoresques, etc.).

Huu Ngoc/CVN
(Juin 2002)

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