Sous les changements, la tradition

Quelle différence entre le Vietnam que j’ai connu il y a 15 ans et celui d’aujourd’hui! Si je regarde des photos de cette époque, j’ai l’impression d’être dans un autre pays. Et pourtant…

>>Ampoules aux mains

>>Sans huis clos

>>Chocs culinaires

Le marché de Dông Xuân d’antan…

Malgré les tours qui partent à la conquête du ciel, malgré les immenses avenues qui embellissent les villes, malgré les voitures qui roulent à flot dans les petites ruelles, malgré les vastes complexes commerciaux qui surgissent de-ci de-là, je retrouve encore ces petites scènes qui font que, pour un étranger, le Vietnam reste toujours surprenant!

Mouvements de foules

Il y a toujours, sur les bords des lacs des villes, ces amoureux qui se bécotent sur les bancs publics, lorsque l’obscurité s’étend doucement sur la ville. En de longs silences, ils réinventent toujours le monde à l’abri des arbres complices. Certes, ils sont peut-être un peu plus nombreux à se serrer l’un contre l’autre sur les banquettes accueillantes des cafés modernes aux lumières psychédéliques. Mais je les aperçois encore quand je longe les rives du lac de l’Ouest ou du lac Hoàn Kiêm, totalement étrangers à la rumeur de la ville qui glisse à la surface des eaux.

Il y a toujours, au milieu du nombre croissant de voitures dernier cri, ces innombrables motos qui transportent d’incroyables chargements. C’est encore plus surréaliste de voir se déplacer un arbre de 2 m de haut, sa frondaison glissant dans la circulation, quand la moto qui le véhicule est cachée par les voitures. Parfois, comme Alice, j’ai l’impression d’être passé de l’autre côté du miroir. Et que dire de cette scène mathématiquement paradoxale et pourtant si fréquente, où une moto portant quatre personnes sur 1 m² en moyenne côtoie une voiture qui n’en transporte qu’une en occupant 10 m². Et, bien sûr, qui dit moto dit casque!

Et, là aussi, il y a toujours cette floraison de couleurs qui se promène sur la tête des gens sensés. Pour les autres, ce sont les chevelures ou le crâne rasé qui continuent à faire office de protection en cas de chute. À ce sujet, j’ai tendance à croire que les jeunes vietnamiens ont la tête plus dure que leurs aînés, vu le nombre de jeunes adolescents et adolescentes qui me doublent sur leurs motos vrombissantes, chevelures au vent.


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Tout bouge, tout change.
Mais à celui qui sait voir,
le Vietnam reste éternel. 
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Il y a toujours ces hommes-téléphones qui se déplacent, appareils vissés à l’oreille. Et le pluriel ici n’est pas une erreur de grammaire, car ils ne se contentent pas d’un seul téléphone. Le plus souvent, ils en ont deux, voire trois avec lesquels ils jonglent avec une dextérité qui me laisse pantois. Venant d’un pays où téléphoner au volant ou au guidon relève du délit routier, au prétexte que l’on ne peut pas se concentrer et sur la route et sur l’écoute, je suis ébahi par la capacité de ces virtuoses du clavier et du volant conjuguée à pouvoir tout mener de front.

L’autre jour, un chauffeur de taxi m’a conduit d’Âu Co à Hoàn Kiêm, en traversant les rues du Vieux quartier de Hanoï, à l’heure où la circulation est la plus intense. Freiner, ralentir, contourner, éviter, frôler, accélérer en souplesse, zigzaguer…, autant dire que mon chauffeur avait de l’occupation. Pourtant déjà, lorsque je suis monté dans le véhicule, il a écouté de son oreille droite l’adresse que je lui indiquai, tandis que son oreille gauche était occupée par un flamboyant appareil digital.

À peine avions-nous fait quelques mètres qu’un modeste téléphone gisant entre son siège et le mien se manifestait. Ne me demandez pas comment il a fait, mais sans abandonner le premier, ni son volant, il a réussi à répondre à ce nouvel interlocuteur! Mais c’est quand un troisième téléphone a sonné dans sa poche de chemise que j’ai fermé les yeux en priant ma cụ bà (arrière-grand-mère) de me faire parvenir indemne au terme de mon voyage. Je la soupçonne d’ailleurs d’avoir pris le volant, car comment mon chauffeur aurait-il pu à la fois manier trois téléphones et circuler sans encombre dans le flot anarchique qui nous entourait.

Petits boulots

… et d’aujourd’hui.

Il y a toujours ces (dames) du marché, qui règnent sur leurs étals comme des princesses douairières! Mais elles sont de plus en plus repoussées dans quelques quartiers de banlieues où résistent les vieux marchés d’antan, ou encore dans le grand marché de Dông Xuân. Là, elles continuent à compter leurs liasses de billets, à écrire minutieusement sur de vieux cahiers chaque transaction, chaque dông entré, chaque dông sorti! Toujours aussi plantureuses, elles conservent leur langage coloré, souvent trivial, qui pourrait faire frémir de honte les moustaches de militaires de carrière. Toujours aussi avenantes quand elles font une bonne affaire, et toujours aussi grognons quand l’affaire n’est pas à leur avantage, elles perpétuent cette truculence villageoise qui a traversé les siècles. Ailleurs, quand les supermarchés modernes ont pris la place, les bà sont remplacées par d’accortes jeunettes qui, machines électroniques à l’appui, encaissent les dôngs du client avec force sourire. L’opération est certes plus séduisante, mais tellement plus aseptisée…

On croise toujours les porteuses à la palanche qui parcourent la ville du matin au soir pour tenter de vendre les produits qu’elles sont allées chercher à l’aube au marché de Long Biên, à Hanoï. Courbées sous le poids des paniers, elles sinuent de leur démarche chaloupée, au milieu des badauds et des passants, faisant encore la joie de voyageurs qui prennent la pose, coiffés du nón (chapeau conique), en leur accordant parfois quelques milliers de dôngs pour leur avoir fait croire pendant quelques instants qu’au Vietnam, les marchandises continuaient à se déplacer à dos de femme.

On voit encore circuler les cyclo-pousses, qui hèlent le client pour de courtes promenades dans la vieille ville. Image fugace d’un temps révolu dont le chemin se confond avec celui des bus électriques et silencieux qui promènent les touristes sans effort…

On voit encore, au carrefour et le long de la rue Hàng Da, au centre-ville, les scieurs de planche qui, scie à la main, attendent, accroupis à l’ombre des maisons, celui qui aura besoin de leurs dextérités.

On voit toujours les cireurs de chaussures qui viennent proposer leurs services à la terrasse des restaurants modernes. Et qu’importe que vous portiez des sandales en toile.

Tout bouge, tout change… Mais à celui qui sait voir, le Vietnam reste éternel.


Gérard Bonnafont/CVN

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