Sens dessus dessous

Le Vietnam est un pays sensuel. Dans sa forme qui évoque les courbes féminines, mais aussi par une mystérieuse alchimie qui exacerbe les sens et provoque les émotions. Bienvenue au pays où la sensation est reine !

Inutile d’avoir l’oreille du mélomane pour satisfaire notre organe auriculaire ! Le Vietnam, ce sont mille touches sonores qui s’attachent à nous comme autant de mémoires subtiles, cacophonie organisée qui signe des lieux ou des moments différents et uniques. C’est le brouhaha incessant de la ville, où les pétarades des motos répondent aux vrombissements des voitures. Ce sont les cris des enfants qui jouent dans la cour de l’école voisine, les voix fortes des commères qui s’interpellent, les appels répétés des vendeurs ambulants qui viennent s’immiscer jusque dans ma ruelle. C’est le journal radiophonique diffusé au petit matin par les haut-parleurs qui veillent en sentinelle dans chaque quartier. C’est la note stridente des klaxons tantôt impatients, tantôt implorants. C’est l’aboiement des chiens dérangés dans leur sommeil par un passant inconnu ou un noctambule égaré.

Le marché vietnamien : la fête des sens !
Photo : Gérard/CVN

Toute ouïe

Ce sont les claquements sourds du marteau du menuisier ou les morsures grinçantes de la scie du ferronnier là-bas, au bout de la rue. Mais c’est aussi le sifflement du mainate perché dans sa cage au balcon d’une vieille maison, le cliquètement sec du margouillat qui se cache derrière le rideau. Ce sont les coassements des crapauds blottis dans la rizière qui troublent la nuit de ce petit village niché au fond d’une vallée. C’est le bruit lancinant des gouttes de pluie qui s’écrasent sur la toiture de latanier de cette petite maison dans la montagne. C’est le battement monotone du pilon hydraulique à riz, installé à l’entrée du village. C’est le vent qui gronde en s’engouffrant dans les voiles de la jonque qui zigzague entre les îlots des grandes baies. C’est une symphonie qui conjugue le passé, le présent et l’avenir, et qui berce ma vie chaque jour.

Yeux grands ouverts

Des lycéennes portant des áo dài blancs.
Photo : Nhât Anh/VNA/CVN

Mieux qu’un tableau impressionniste, le Vietnam, c’est aussi un nuancier de couleurs.

Le rouge lumineux des fleurs de flamboyant autour du lac Hoàn Kiêm, ou le rouge pourpre des haies d’hibiscus sur cette route de campagne. C’est aussi le rouge et or des pagodes et des temples, qui dessinent des animaux fabuleux sur les pilastres et les boiseries.

C’est le vert tendre des épis de riz à peine levés qui se conjuguent avec le vert luisant des bananiers ou le vert profond des grands aréquiers. C’est l’ocre des grands fleuves tumultueux qui charrient la glèbe dans leurs flancs. C’est le blanc immaculé des áo dài (tunique traditionnelle des femmes vietnamiennes) que portent les lycéennes de Huê (Centre).

C’est le bleu lumineux des ciels de printemps qui s’étirent au-dessus du vert topaze de la Mer Orientale. Ce sont les couleurs chatoyantes des fruits et des légumes qui s’entassent sur les étals des marchés de villages. C’est le jaune vieil or des anciennes maisons coloniales. C’est l’indigo des robes et des jupes évasées des habitants de ces villages des montagnes du Nord. C’est une myriade de couleurs qui dansent à mes yeux quand je pense à ce pays.

C’est goûteux

Véritable feu d’artifice gustatif, le Vietnam, c’est encore ces saveurs écrites au détour de moment de convivialité.

Le goût astringent du thé artichaut dégusté à petites gorgées brûlantes. Le goût sucré-amer de l’ananas sculpté avec art pour retirer son écorce, et dans lequel on mord avec délice, au bord de la route. C’est le goût piquant du gingembre ou du piment qui donne à la cuisine un tempérament de feu.

Le nuoc mam, l'un des principaux condiments utilisés par la cuisine vietnamienne.

Ce sont les saveurs fruitées de la lime ou de la citronnelle qui se conjuguent harmonieusement avec le sel du nuoc mam (saumure de poisson). C’est le goût citronné de la coriandre qui s’invite à tous les repas. C’est ce mélange des contraires, sucré-salé, chaud-froid, piquant-doux, qui déconcerte nos papilles avant de les emmener dans une découverte subtile du ying et du yang !

Plein les narines

Que n’ai-je la truffe canine pour absorber encore plus ces odeurs qui surprennent, étonnent ou agacent !

À tout seigneur, tout honneur : le nuoc mam, entêtant et si étrange à des narines occidentales. Son odeur indocile s’évade des grandes jarres de saumure et s’invite dans les restaurants, de la plus humble gargote aux plus grandes tables.

Mais j’emporte avec moi d’autres odeurs plus subtiles. L’odeur envoûtante des fleurs de frangipaniers, qui tombent en neige au printemps. L’odeur de la terre qui s’exhale après une pluie torrentielle, quand le soleil revenu aspire en grandes volutes diaphanes l’humidité du sol. L’odeur des fruits frais cueillis à l’arbre dans le jardin indiscipliné de la maison familiale.

Un bol fumant de pho avec ses condiments.

Le fumet remarquable du pho matinal, servi sur des tables basses au bord du trottoir. L’odeur iodée des coquillages et crustacés entassés dans des paniers dans ces petits ports de pêche. L’odeur boisée de l’encens que l’on fait brûler devant les pagodes.

Je retrouve ici toutes ces odeurs, découvertes enfant chez les marchands d’épices et qui me faisaient rêver à d’impossibles voyages au bout du monde…

À fleur de peau

Le Vietnam, c’est enfin un pays où l’on fait corps avec les cinq éléments.

Le feu du soleil qui brûle la peau quand on l’affronte aux heures chaudes de la journée, et nous oblige à nous réfugier sous la fraîcheur des ombrages des grands banians. Le vent qui tour à tour caresse nos joues quand brise, il nous accompagne dans d’interminables randonnées en moto, ou fouette notre sang quand il se transforme en ouragan furieux nous faisant frissonner de crainte. L’eau d’une pluie chaude qui se déverse en cataracte liquéfiant hommes et choses dans un monde sans horizon. La terre qui se fait tendre au fond de la rizière comme pour mieux embrasser dans la même étreinte l’homme et la plante qui le nourrit, mais aussi la terre qui se fait dure, sèche et craquelée sous un ciel impitoyable et qui vibre sous les pas pesants des buffles qui rentrent au bercail.

Comment ne pas être sens dessus dessous, quand on vit dans un tel pays ?

Gérard Bonnafont/CVN

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