Sans notes et cent notes

Van Miêu. Si vous ne pratiquez pas le vietnamien, peu de chances que ce nom vous dise quelque chose ! Et si je vous dis : Temple de la Littérature ?

Le Temple de la Littérature, dédié autrefois à Confucius, est un des monuments les plus connus du Hanoi millénaire. En effet, quand un Parisien reçoit le cousin breton qui n’est jamais venu à Paris, que fait-il ? Il lui fait visiter la Tour Eiffel ! Quand un immigré installé à Hanoi reçoit des amis de France, que fait-il ? Il leur fait visiter, entre autre, le Temple de la Littérature ! Et comme j’ai plus d’amis que de cousins bretons, j’ai plus souvent l’occasion de gravir les trois marches en pierre du perron de la porte «Van Miêu Môn» que de suer en montant les 1.665 marches en acier du Pilier Est de la Dame de Fer ! Alors, bien sûr, à force de fréquenter les mêmes endroits, on finit par sympathiser. Suivez-moi, je vais vous guider à travers les méandres de ces cours et arrière-cours pour arriver là où je souhaite vous emmener !

Entrée du Temple de la Littérature, un des monuments les plus connus du Hanoi millénaire.

De porte en porte

Comme les rois et empereurs d’autrefois, je vous invite à descendre de votre cheval ou de votre vélo, en utilisant le pas de mule qui se trouve à l’entrée principale. Là, sous l’œil sévère de dragons minéraux, figés dans un immobile envol, voici la première cour, où deux étangs fleuris de lotus se font face, entourés de pelouses ombragées par d’immenses et vénérables banians. Déjà, le Hanoi vrombissant s’estompe derrière les hauts murs d’enceinte, ne laissant subsister qu’un espèce de bourdonnement lointain qui s’incline devant la sérénité ambiante. Ne soyez pas surpris si vous tombez nez à groin avec un cochon ou nez à mufle avec un buffle ! En l’honneur du millénaire, les douze signes du zodiaque chinois se sont réincarnés sous forme de statues végétales.

Après avoir pris douze photos de ces glorieux animaux, photos que personne ne regardera jamais, et traversé une seconde cour, plantée de manguiers, vous passez sous le pavillon Khuê Van Các, véritable tour sentinelle qui sert de porte pour entrer dans la troisième cour. En passant sous le pavillon, une pensée émue pour les candidats aux concours qui déclamaient leurs productions littéraires depuis le premier étage. En plus d’intelligence, il fallait être doté d’un bel organe… vocal !

La troisième cour rend d’ailleurs hommage à ces valeureux jouteurs spirituels, puisque, autour d’un bassin carré, peuplé de carpes, des tortues de pierre portant des stèles gravées s’alignent comme pour la parade par rangées de dix. Chaque stèle dresse le panégyrique d’une promotion de lauréats. Et ça, ma fille s’en préoccupe autant que de sa première bouillie. Par contre, ce qui la fait rire aux éclats, c’est la tête des tortues dont chacune, différente, représente le caractère de chaque promotion. Il y en a avec qui on ne devait pas rire tous les jours, et d’autres avec lesquelles on imagine que les frasques estudiantines n’avaient rien à envier à celles du quartier latin.

Laissant là ces symboles de postérité, de sagesse et de longévité, on passe de nouveau une porte pour entrer dans la quatrième cour, ou plutôt sur une grande esplanade, qui nous sépare du Temple lui-même. L’odeur entêtante de deux superbes frangipaniers rehausse encore le caractère sacré de l’endroit. Laissons la cohorte de visiteurs envahir les boutiques de souvenirs, brûler de l’encens devant la statue de Confucius, ou caresser la tête des tortues de pierre pour obtenir du succès aux examens, et contournons le Temple par sa gauche ! Une petite allée, bordée de jacquiers aux énormes fruits, nous conduit à une cinquième cour, gardée par deux soldats de pierre. C’était autrefois les salles d’études et les dortoirs, et c’est devenu aujourd’hui un musée et un lieu de rencontres culturelles. Ça y est, nous sommes arrivés !

Accord pentatonique

En traversant la cour pavée qui nous sépare d’un bâtiment semblable aux palais de la Cité Impériale, la mélodie d’une musique traditionnelle vient caresser nos tympans. Mes amies sont là. Allez, levons haut la jambe pour franchir le muret qui empêche les mauvais esprits de pénétrer dans ces lieux, et nous sommes dans une petite salle, face à une estrade sur laquelle une troupe de musiciennes, en costumes traditionnels, offre aux curieux quelques morceaux choisis de musique vietnamienne aux accords pentatonique (en cinq notes et non en huit comme la musique occidentale).

Hiên, Huong, Viêt, Phuong…, elles sont toutes là. Notre amitié remonte à quelques années, et s’est construite au fur et à mesure de mes visites et des médicaments que j’apportais pour soigner les maux de gorges, les toux tenaces, ou quand je donnais des conseils pour un enfant qui ne voulait pas manger, pour un autre qui pleurait toujours, ou un troisième qui se fatiguait vite. Les années ont passé, les enfants ont grandi, les rhinites vont et viennent, mais l’amitié est toujours là. Et, à chaque fois que je viens avec des visiteurs, nous avons droit à un concert spécial entre deux représentations organisées. J’aime ces moments où chacune s’installe avec son instrument…

Voici celle qui joue de «đàn kìm», luth à la caisse de forme ronde comme la pleine lune avec ses deux cordes, au timbre sourd qui porte la mélodie. À côté est installée la joueuse de «đàn tranh», cithare dépourvue de manche dont les seize cordes, grattées et pressées, donnent sur cinq notes, un ton cristallin de voix féminine. À ses côtés, une jeune fille fait vibrer la corde unique du «đàn bâu», monocorde muni d’un vibrateur en bambou qui donne des sons inconnus à nos oreilles occidentales comme une résonnance lointaine d’une Asie mystérieuse. En arrière plan, les notes rieuses de la «sáo trúc», flûte à bec en bambou, sautillent en ronde espiègle autour des musiciennes. L’enthousiasme monte d’un cran, quand une jeune femme se place devant le «K’lông pút», constitué de tuyaux de bambou devant lesquels on frappe violemment les mains pour envoyer de l’air comme dans un orgue horizontal. Nombreux sont ceux qui s’y sont essayés, sans produire rien d’autre qu’un vide désespérant ! Mais summum de l’étonnement, c’est lorsque la doyenne de la troupe se lève pour jouer du «đàn T’rung», sorte de xylophone vertical, en bambou, constitué d’une quarantaine de tuyaux, que l’artiste percute avec deux bâtons en tapant simultanément par chacune des extrémités. Dextérité obligatoire ! Souvent, pour nous faire revenir sur terre, à la fin du concert, l’orchestre nous offre un air du folklore français : «Auprès de ma blonde».

Joué avec des instruments vietnamiens, c’est… folklorique. Si un jour vous êtes présents lorsque ces sympathiques musiciennes nous offrent ce spectacle, je vous invite à vous asseoir auprès de moi... Je vous raconterai, si vous le voulez bien, l’histoire de ces instruments de musique étonnants pour l’œil et l’oreille occidentale !

J’ai écrit cette tranche de vie en hommage à toutes ces personnes qui chaque jour de l’année offrent aux touristes un peu de rêve…

 

Gérard BONNAFONT/CVN

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