Quand l’habit fait le motard

La semaine dernière, je vous avais emmené en moto sur les routes du Vietnam, envahies de motocyclistes amateurs ou néophytes. Cette semaine, je vous propose de les retrouver à la halte du soir, à l’heure où les buffles, fatigués de voir passer ces drôles de créatures à deux-roues, ont regagné leur étable pour une nuit bien méritée.


Rapide cours de vocabulaire. Dans la langue française, le suffixe «ard» peut avoir un sens péjoratif ou argotique, mais il peut aussi désigner l’appartenance à un mouvement ou une idée à laquelle on adhère. Ainsi, initialement, le terme «motard» désigne quelqu’un qui milite pour l’usage de la moto, non seulement comme moyen de déplacement mais aussi comme mode de vie. À ne pas confondre avec «motocycliste», qui désigne une personne se déplaçant provisoirement en moto. Pour être motard, être motocycliste est une condition nécessaire, mais non suffisante. Par contre, pour être motocycliste, il n’est pas nécessaire d’être motard !

Sur leur moto, les conducteurs et passagers mènent une lutte acharnée contre les rayons  du soleil. Photo : Hoàng Hai/VNA/CVN


Vous m’avez suivi ? Ce préambule explicatif n’a pas pour but de rendre plus complexe la lecture de votre chronique hebdomadaire, mais simplement de vous permettre de mieux comprendre ce qui va suivre...
Moto virile
Quand on a parcouru la moitié du globe au-dessus des nuages pour sillonner les routes du Vietnam, il serait inconvenant de n’être qu’un vulgaire motocycliste. L’exotisme et le sentiment d’aventure inédite méritent mieux que ça. Être un motard est beaucoup plus noble... même si on n’a jamais conduit de moto de sa vie ! Et, pour être motard dans ces circonstances, il suffit d’en avoir les apparences, ou plus précisément d’en adopter certains artifices.
Tout d’abord, l’engin motorisé. Même si sa cylindrée n’excède pas 125 cm3, il doit ressembler à ces fiers coursiers qui dévorent le bitume en ronronnant du pot d’échappement. C’est d’ailleurs à cela que l’on constate être dans un hôtel de «motards» : à l’alignement de motocyclettes différentes de celles qu’utilisent les Vietnamiens au quotidien. Conforme aux images de courage, de solidarité, de virilité, associées à la découverte des grands horizons, la moto du routard doit avoir une allure vindicative et sentir bon le cuir et la sueur. Contrairement à ses sœurs usuelles, aux formes rondes et fines comme des abeilles industrieuses, destinées à se fondre dans le flot de la circulation, celles-ci ont l’allure de taureaux de combat, avec leurs guidons relevés, leur gravité surbaissée, leur échine couverte d’une selle large et épaisse, leur croupe armée de lourdes sacoches de cuir aux rivets apparents. À les voir, on peut aisément supposer que leurs pilotes et passagers ont traversé des mondes inconnus du commun des mortels. Sentiment prestigieux qui ne résiste pas à l’amère réalité quand, en se penchant discrètement sur le carter, on s’aperçoit de la modestie de la cylindrée ! Mais qu’importe, l’image est là et c’est cela qui importe, car elle donne de l’importance aux pilotes et aux passagers...
Tenir encore
Justement les voilà, pilotes ou passagers, attablés à une table pour se restaurer après une dure journée d’aventure ! Première question : «À quoi différencie-t-on le pilote du passager, quand il est piéton ?».
En général, le pilote est Vietnamien, et il s’est protégé du soleil toute la journée. Et pour cause, il habite ici. Il est également en pleine forme et prêt à repartir aussitôt. Le passager (ou la passagère), quant à lui (ou elle), présente des jambes, épaules, nuque et bras d’une teinte variant de rouge vif à pourpre. Prémices d’un pelage précoce des couches superficielles de la peau, et de nuits cuisantes ! Ses yeux brillent de fatigue dans un visage défait, mais il tente de faire bonne figure auprès de son partenaire de selle. Surtout ne pas paraître exténué après quelques centaines de kilomètres, alors qu’il en reste encore plus à parcourir. On a sa dignité tout de même ! Il est vrai qu’être colis sur une moto n’est pas de tout repos. Il faut s’accrocher, épaules en arrière et bras baissés, au porte-bagage pour amortir les chaos de la route, ce qui, nous en conviendrons, n’est pas des plus confortables pour profiter du paysage.
En outre, les jambes pliées à plus de 90°, pendant plusieurs heures sur les repose-pieds, produisent ankylose et fourmillements du plus désagréable effet.
Enfin, les échanges verbaux avec le pilote, qui sert aussi de guide, se font sur un mode plutôt «forte» que «mezza voce», ce qui n’offre pas un voyage serein aux cordes vocales. Et quand on arrive à la halte, fourbu, désarticulé, brûlé vif et aphone, on doit encore partager quelques bières avec le sourire et écouter les exploits que se racontent autour de la table ceux qui ont l’habitude faire la route ! Comme quoi, l’aventure, ça se mérite...
Mâle assurance
Mais, regardez ces nouveaux qui arrivent ! Bouteilles de bière à la main, verbe haut, ils déambulent fièrement dans la salle de restaurant, regard de côté pour vérifier que l’on fait bien attention à eux.
Ils ont, pour autre signe distinctif, une tenue hybride, entre négligée et explorateur. Blouson à mi-corps, guêtres aux chevilles, s’ils n’ont pas adopté la combinaison de cuir des motards, c’est que leur monture en prouverait le saugrenu ! Ceux-ci conduisent eux-mêmes leurs motos. Certes, leurs deux-roues sont les mêmes que ceux que l’on voit chaque jour dans nos villes, mais seuls maîtres à bord, ils ont ce sentiment de toute-puissance que donne l’ivresse des grands espaces.
Et je porte toujours un regard amusé sur le sentiment de supériorité qu’ils affichent face aux touristes normaux qui se déplacent en bus ou en voiture. Je me souviens d’une remarque récente d’un de ces jeunes aventuriers. J’étais avec quelques amis et, après nous avoir entendu parler français, il s’était approché : «Bonjour ! Vous faites aussi de la moto comme nous, j’imagine !». À notre réponse négative, j’ai bien vu que nous perdions tout intérêt pour lui : nous n’étions finalement que des personnes ordinaires. D’ailleurs, vu notre âge, c’était, après tout, normal. Permettez moi d’être immodeste en ajoutant que son regard s’est voilé quand son guide, que je connais fort bien par ailleurs, lui a expliqué que j’avais déjà parcouru plusieurs fois la route de Hanoi à Hô Chi Minh-Ville avec ma bonne vieille 250cc...
Et c’est justement parce que j’ai cette expérience que j’insiste auprès des lecteurs de cet article, certes impertinent, mais plein de sympathie pour les rêveurs insouciants : se promener en moto sur de longues distances, ce n’est pas une balade, surtout au Vietnam. Ne prenez la route que si vous avez l’habitude de la moto ! Faites-vous accompagner (la meilleure solution pour échanger avec les gens que vous croisez) ! Protégez-vous du soleil (regardez les autochtones) ! Soyez sûr de votre monture et prenez-en soin ! Respectez le Code de la route ! Ne louez une moto ou n’en achetez en une que si vous avez un permis valide au Vietnam (votre assurance ne manquera pas de vous le rappeler, à votre corps défendant, en cas de pépin) !
Et surtout n’en rajoutez pas : restez simples et ouverts ! Les routes et les gens du Vietnam apprécieront d’autant plus.

Gérard BONNAFONT/CVN

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