Préserver l'évolution naturelle : un enjeu pour la biodiversité

La Nouvelle-Calédonie est considérée comme une zone prioritaire pour la préservation de la biodiversité à l'échelle mondiale, en raison de sa flore riche, originale et menacée. Pour mieux comprendre l'évolution de cette flore, une étude phylogénétique a été menée sur une des familles emblématiques du territoire, les Cunoniacées, particulièrement bien adaptées aux sols miniers.

À partir du séquençage de l'ADN des espèces du genre endémique Codia, des chercheurs de l'IRD et leurs partenaires ont montré que plus de la moitié des 13 espèces du genre seraient le résultat de croisements interspécifiques.

Certaines d'entre elles possèdent des caractères morphologiques nouveaux, absents chez les espèces parentales, ce qui souligne l'importance de l'hybridation dans la diversification de ces plantes.

Alors que la biodiversité mondiale traverse actuellement une sixième grande extinction, il est important de préserver les processus qui permettent la formation de nouvelles espèces. En Nouvelle-Calédonie, ceci impliquerait notamment la préservation des zones de contacts entre différents types de sols, où des espèces, différant par leur écologie, peuvent se côtoyer et s'hybrider.

L'archipel de la Nouvelle-Calédonie est considéré comme un "point chaud" de la biodiversité en raison de la richesse et de l'originalité de sa faune et de sa flore, sur terre comme en mer.

La flore terrestre compte au moins 3.300 espèces, avec 75% d'endémisme dont 5 familles de plantes à fleurs endémiques, c'est-à-dire trouvées nulle part ailleurs. Le territoire possède des représentants de nombreuses lignées anciennes, comme Amborella, et 13 des 19 espèces d'Araucaria (pins colonnaires), une lignée de conifères abondante au Mésozoïque, soit entre -251 et -65,5 millions d'années, l'ère des dinosaures. Cette diversité est aujourd'hui affectée par différentes menaces : espèces envahissantes, destruction des habitats par le feu, exploitation minière (du nickel), réchauffement climatique, urbanisation, etc. De nos jours, seul 28% du territoire calédonien serait encore couvert par une végétation primaire.

Pour concevoir un plan de conservation efficace, il est nécessaire de comprendre comment les groupes végétaux se sont diversifiés au cours de l'évolution, en intégrant divers éléments comme les formations végétales, la diversité des pollinisateurs, les types de sols, etc. De tels paramètres peuvent être étudiés grâce à l'utilisation d'arbres phylogénétiques, retraçant les liens de parentés entre les espèces; or peu d'études sont disponibles en Nouvelle-Calédonie, contrairement à d'autres flores comme celles d'Hawaï ou d'Afrique du Sud.

Les Cunoniacées, une famille emblématique de Nouvelle-Calédonie

La famille des Cunoniacées regroupe environ 300 espèces d'arbres et d'arbustes, réparties en 26 genres, essentiellement localisées dans l'hémisphère Sud. En Nouvelle-Calédonie, cette famille est particulièrement riche avec 88 espèces (dont le faux-tamanou et le chêne rouge), toutes endémiques, divisées en 7 genres dont 3 endémiques. Les Cunoniacées se retrouvent dans divers types d'habitat sur le territoire et sont particulièrement diversifiées sur les sols ultramafiques, c'est-à-dire contenant beaucoup de minéraux de fer et de magnésium (terrains miniers), pourtant peu propices au développement des plantes, en raison de la présence de métaux lourds (nickel), d'un fort rapport magnésium/calcium et d'une faible disponibilité en eau.

Une étude de phylogénie moléculaire a été menée par des chercheurs de l'IRD et leurs partenaires sur un genre endémique dénommé codia. Les scientifiques ont séquencé 3 gènes nucléaires pour chacune des 13 espèces du genre. Plus de la moitié d'entre elles seraient le résultat d'hybridations naturelles entre des espèces dites parentales (C. jaffrei, C. Nitida, C. incrassata, C. ferruginea). En effet, l'hybridation interspécifique peut être un processus de nouvelles espèces. Deux plantes d'origine hybride possèdent des feuilles verticillées (3 feuilles par noeuds) alors que les espèces parentales possèdent toutes des feuilles opposées (2 feuilles par noeuds). Les Codia issus de croisements peuvent donc présenter des caractères nouveaux, dits " transgressifs ", absents chez leurs parents, ce qui montre l'importance de l'hybridation dans la diversification morphologique des végétaux.

Préserver les processus évolutifs comme l'hybridation naturelle

Afin d'assurer le maintien de la biodiversité, notamment l'apparition de nouvelles espèces qui remplaceront celles amenées à disparaître au cours de la crise actuelle, il est nécessaire de préserver les processus favorisant la spéciation. En 2008, un chercheur de l'IRD et ses partenaires ont décrit une nouvelle espèce de Cunoniacées, Cunonia koghicola, découverte aux Monts Koghis, la montagne le plus proche de Nouméa. Celle-ci possède des caractéristiques morphologiques qui suggèrent une origine hybride. Les parents probables seraient d'une part Cunonia balansae, une espèce à feuille simple inféodée aux terrains miniers, et d'autre part Cunonia austrocaledonica, un arbre à feuilles composées qui se développe sur les terrains non-miniers. La forêt des Mont Koghis recouvre une zone géologiquement complexes où différents types de sols forment une mosaïque avec une grande diversité de végétations : maquis minier, savane à niaouli (arbre de Nouvelle-Calédonie et d'Australie), forêt humide sur péridotites, serpentines et roches sédimentaires. De telles interfaces permettent à des plantes, différant par leurs exigences écologiques, de se côtoyer et de s'hybrider, et devraient être préservées pour leur rôle de berceau de biodiversité.

IRD/CVN

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