Plaidoyer pour la formation des diplomates francophones

Le colloque "Formation des diplomates francophones en Asie du Sud-Est" a eu lieu au début de ce mois-ci à l'Académie diplomatique de Hanoi. L'événement a réuni des représentants de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF), d'établissements de formation à la diplomatie du Cambodge, du Cameroun, du Canada, de Chine, du Laos, de Roumanie et du Vietnam.

Les participants ont échangé des expériences et réflexions sur la formation des diplomates francophones en Asie du Sud-Est, précisément au Cambodge, en Chine, au Laos et au Vietnam. Ils ont partagé des expériences dans les modèles de sélection des étudiants, futurs diplomates de différents pays, la détermination du rôle du français dans cette sélection. La formation des diplomates franco- phones dans d'autres régions du monde (en Afrique centrale, en Amérique du Nord et en Europe) a également été abordée.

Nous publions ci-après de larges extraits de l'allocution de Lê Duc Thiên, à la Direction des ressources humaines du ministère des Affaires étrangères du Vietnam.

"Pour des raisons historiques, le français occupait une place très importante dans le système éducatif du Vietnam du XIXe et surtout du XXe siècle. Au cours de colonisation française en Indochine, c'était les Français qui ont fait changer le système éducatif du Vietnam. Plusieurs universités et collèges à la française ont été fondés en remplacement des établissements scolaires traditionnels pour former les officiers travaillant au profit de l'administration française. Par conséquent, plusieurs personnalités vietnamiennes ont été formées en français et par les Français, tant au Vietnam qu'en France.

La présence française se manifestait partout dans la vie quotidienne au Vietnam : de la littérature, des arts, du mode de vie aux sciences, aux sports… Dans l'histoire de la diplomatie moderne du Vietnam, on peut facilement constater que les diplomates et les hommes politiques les plus brillants du Vietnam sont des francophones parmi lesquelles le Président Hô Chi Minh demeure bien sûr le plus célèbre. Le fondateur de la République démocratique du Vietnam et de la diplomatie moderne du Vietnam est l'auteur de plusieurs ouvrages écrits en un français parfait, y compris les pièces de théâtre (comme Le Dragon de bambou) ou le célèbre ouvrage anticolonialiste Le Procès de la colonisation française qu'il a écrit en France à l'âge de 30 ans… Un des élèves les plus brillants de Hô Chi Minh, celui qui a passé la plupart de sa vie politique au poste du ministre des Affaires étrangères et puis du Premier ministre du Vietnam, Pham Van Dông, demeurait également une grande personnalité vietnamienne francophone. Et on n'oublie jamais un témoin vivant de l'histoire du Vietnam moderne, général Vo Nguyên Giap… Tous ces personnages sont formés soit en français soit par les écoles françaises. La culture et la langue française avaient alors de l'emprise considérable sur eux.

Un bref retour au passé juste pour montrer que le français jouait un rôle spécial dans la vie quotidienne des Vietnamiens en général et dans l'environnement politico-diplomatique en particulier. Pourtant, comme nous pouvons le constater, malgré son statut du membre fondateur de la Francophonie, le nombre des francophones au Vietnam a tendance à diminuer lors des dernières années.

Les états des lieux des diplomates francophones au ministère des Affaires étrangères du Vietnam reflètent parfaitement cette tendance. Le pourcentage des diplomates vietnamiens francophones ne dépasse pas un cinquième de son personnel. Ce n'est pas un taux impressionnant pour un établissement étatique qui est particulièrement chargé des relations avec tous les pays francophones et qui a toujours besoin, en principe, de nombreux diplomates francophones de bonne qualité. Il est à noter qu'en 1997, l'année où le Vietnam hébergeait le 7e Sommet de la Francophonie à Hanoi, ce pourcentage des diplomates francophones du Vietnam était d'environ 30%.

On peut en trouver plusieurs explications parmi lesquelles, je voudrais souligner l'aspect socio-économique de cet évènement : la conséquence évidente de l'ouverture de l'économie du Vietnam. D'une part, les meilleurs étudiants, y compris les francophones, sortant de bonnes universités trouvent plus d'opportunités dans des entreprises étrangères au Vietnam et à l'étranger. Les établissements étatiques ne les intéressent plus. D'autre part, la présence française au Vietnam, notamment en matière économique, n'est plus suffisamment impressionnante pour attirer les apprenants du français. L'avènement de l'anglais et l'"émergence" d'autres langues telles que le chinois, le coréen… constituent également une autre explication au déclin du français au Vietnam.

Face à cet enjeu, depuis longtemps, notre ministère a appliqué plusieurs mesures d'encouragements de l'enseignement du français et de la formation des diplomates francophones.

Notre ministère est le pionnier dans la rénovation des politiques de recrutement. Depuis quelques années, nos recruteurs viennent souvent aux universités à Hanoi, à Hô Chi Minh-Ville pour parler aux étudiants de notre ministère, du métier diplomatique… Des étudiants diplômés lauréats des spécialités appropriées des universités du Vietnam pourront être recrutés sans passer les concours. La même procédure est appliquée pour les candidats titulaires des grades de doctorat ou de master de mention bien et excellents diplômés des universités connues à l'étranger. Tout cela a pour objectif de sélectionner les meilleurs talents au profit du ministère.

Pour la formation initiale des diplomates francophones, depuis longtemps, l'Académie diplomatique du Vietnam (ADV) joue un rôle primordial. Chaque année scolaire, une soixantaine d'étudiants francophones diplômés de cet établissement relevant du ministère des Affaires étrangères constituent un large choix aux recruteurs. Et bien sûr, nous ne pouvons pas ignorer le succès du programme de formation délocalisée du Master 2 de Science politique - Relations internationales, spécialité "Francophonie et Mondialisation". Il s'agit d'un bon fruit de la coopération entre l'ADV, l'Université Jean Moulin Lyon 3 de France et l'Université de Yaoundé 2 du Cameroun, avec le soutien de l'Agence universitaire de la Francophonie. Nombre de diplomates et fonctionnaires vietnamiens ont poursuivi et poursuivront ce programme de formation.

Au sein de l'ADV, depuis 1995, le Centre de formation d'interprètes et de traducteurs (CFIT) est très bien connu comme le berceau des interprètes francophones d'excellente qualité. Le CFIT dote aux étudiants de connaissances et des techniques d'interprétation leur permettant de travailler dans de divers domaines. Beaucoup parmi eux sont devenus des interprètes professionnels de haut niveau, contribuant efficacement aux activités extérieures du ministère des Affaires étrangères.

Notre ministère accorde toujours une priorité de première importance à la formation de post-recrutement (ou formation continue). Nous essayons de maintenir les relations étroites avec des universités des pays francophones, notamment en France, en Belgique… pour envoyer nos fonctionnaires aux cycles de formation francophones de longue et courte durée. L'Université Jean Moulin Lyon 3 par exemple, qui accueille depuis quelques années plusieurs étudiants, enseignants et diplomates vietnamiens au sein de leurs programmes de formation. L'École nationale d'Administration française est également une très bonne destination pour les fonctionnaires et diplomates du Vietnam, avec des cursus très variés et appropriés. Notre ministère encourage d'une part nos personnels, notamment les jeunes, à chercher eux-mêmes des bourses disponibles octroyés par le gouvernement des pays francophones ou par les universités. Une fois acceptée, ils seront autorisés à les poursuivre sans aucune condition obligatoire. D'autre part, deux fois par an, nous organisons des tests de niveau de langues étrangères appliqués à tous les personnels, le considérant comme une condition obligatoire pour être sélectionnés aux postes de missions à l'étranger. Ceux qui sont multilingues ont plus de chances d'être sélectionnés. Cela "encourage" nos personnels à prendre conscience toujours d'apprendre et de pratiquer leur(s) langue(s) étrangère(s).

Pour financer les programmes de formation, nous avons un projet en coopération avec l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) de renforcement du français au profit des diplomates du ministère des Affaires étrangères et des fonctionnaires des services des relations internationales de la fonction publique. Au niveau gouvernemental, nous bénéficions du financement du programme 322 ou du projet 165. C'est un grand projet de perfectionnement et de recyclage au profit des fonctionnaires et des gestionnaires du secteur public du Vietnam. Au niveau ministériel, nous accordons un budget annuel considérable pour envoyer nos personnels aux formations choisies, notamment les spécialités prioritaires telles que le droit international, droit maritime ou droit économique international…

Ces mesures ont donné des premiers fruits. Il y a de plus en plus de diplomates, y compris des francophones qui ont eu l'occasion de participer aux différents cours de formation. Parmi les quelques 60 nouveaux recrutés chaque année, un dixième est francophone, répondant bien aux besoins de notre ministère.

Pour conclure, je suis fermement convaincu qu'avec les bonnes politiques d'encouragement de la part du gouvernement vietnamien, la bonne volonté du gouvernement français ainsi que les efforts inlassables de l'OIF, de ses instances, notamment l'AUF, et des militants de la Francophonie, le français retrouvera bien tôt sa position pertinente non seulement au Vietnam, en Asie du Sud-Est mais encore dans le monde entier."

CVN

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