Os tentation

Cet article est destiné à tous ceux qui croient encore que tous les chiens du Vietnam sont destinés à la marmite, et à tous ceux qui confondent avoir du chien avec posséderun chien. Ou, comment rire du ridicule plutôt qu'en pleurer...


Si le premier devoir d'un immigré est de respecter les us et coutumes du pays qui l'adopte, il n'en reste pas moins que les échanges culturels aboutissent parfois à de nouveaux rites sociaux qui frisent parfois le burlesque. Preuve en est le spectacle saugrenu auquel je vous convie aujourd'hui...

Un lac qui a du chien !

Après les grands froids de l'hiver, les premiers jours de ce mois de mars semblent paradisiaques. Le soleil reprend du service, en nous octroyant quelques rayons dispensateurs d'une douce chaleur, qui invitent à l'évasion hors des murs domestiques. Donc, rien d'étonnant à ce que je partage la selle de ma moto avec ma fille pour un tour de Hô Tây. Ce lac est à Hanoi ce qu'est le bois de Boulogne à Paris : amateurs de footing, cyclistes, promeneurs, flâneurs..., autant de grands ou modestes sportifs qui viennent s'y aérer les poumons, s'affermir la musculature et s'affiner la taille. Jusqu'à la vie nocturne qui abrite les mêmes activités sous les frondaisons du bois occidental et sur les rives obscures du grand lac hanoïen...

Le cador, c’est moi !


Mais, pour l'heure, soucieux d'économiser notre capital santé, ma fille et moi observons du haut de notre petite cylindrée tous ces gens qui s'agitent, sous le bleu d'un ciel à peine voilé par des franges de brume accrochées aux heures de cet après-midi dominical. Roulant à l'allure d'un escargot valétudinaire, nous profitons et de la légère brise venue du lac, et du spectacle que nous offre les berges. Les guinguettes se succèdent, offrant au passant leurs chaises longues ou leurs tables d'osier tressé pour étancher les soifs ou reposer le corps fatigué. Les maisons laissent deviner des façades luxueuses, masquées par de grands murs de pierres ou d'imposantes grilles de fer forgées qui leur donnent l'air de places-fortes inexpugnables. Les champs de lotus ne laissent émerger que d'étiques pousses brunâtres, loin d'offrir la magnificence des immenses corolles roses et blanches qui s'ouvriront au soleil d'été...
Dans cette promenade champêtre et lacustre en pleine ville, nous sommes suivis par un ami belge qui découvre les joies et les surprises d'une promenade en moto au Vietnam. Après avoir marqué une halte émue devant le restaurant d'un de ses compatriotes qui marque le début de notre randonnée motorisée, il s'accroche au sillage de ma moto, en tentant de concilier l'admiration du paysage, la surveillance de sa trajectoire, l'attention aux divers perturbateurs qui lui coupent la route, et l'écoute des explications que je lui fournis ! Heureusement, je l'épargne en multipliant les haltes pédagogiques... Justement, nous voici devant une scène qui mérite un arrêt. Décision déjà partagée, par ailleurs, par plusieurs motocyclistes stationnés sur la chaussée.

Un pré pour les chiens !

Un vaste terre-plein semble être transformé en parc de jeux canins. Petits ou grands, poilus ou glabres, oreilles levées ou tombantes, des dizaines de chiens se sont donné rendez-vous pour sauter, courir, se rouler dans l'herbe, se gratter frénétiquement ou lever la patte contre de rares arbrisseaux qui n'en peuvent mais...
Évidemment, en bêtes civilisées, ces animaux n'ont pas oublié leurs maîtres, lesquels s'échinent à suivre les parcours erratiques de leurs toutous... Mon ami belge, lui-même propriétaire en sa lointaine Belgique d'un superbe bouvier des Flandres, me lance : "C'est un concours canin !". Réplique qui suscite mon attention, car effectivement, à y voir de plus près, dans ce joyeux désordre, il semble y avoir quelque organisation.
Avant de lâcher leurs chiens, les maîtres brossent, pomponnent, frisottent, peignent leurs compagnons à quatre pattes. Certains se fendent même de quelques accessoires et colifichets qui, à défaut de donner du chien à leur chien, leur donnent l'air de cocotte ! Et comme dans un ballet bien réglé, sa beauté achevée, le canidé peut se pavaner devant ses condisciples. Mais gare à lui s'il se roule à terre ou dérange sa toilette...
Son maître le rappelle à l'ordre, et notre brave toutou en reprend pour une séance de coiffure ! Même les chiens canailles, ceux qui n'ont besoin d'aucun artifice pour démontrer leur supériorité, les vrais, les durs, les tatoués, n'échappent pas à la règle : jouer, oui, se salir, non ! J'avoue ne pas saisir sur le champ, l'intérêt à amener son fidèle compagnon sur une esplanade tout en le bridant, sans lui laisser la bride sur le coup. Et, à mieux y regarder, l'évidence me saute à la figure : les chiens ne sont pas là pour être promener ou se promener, ils sont là pour être vus. Même pas montrer..., non simplement être vus !

Petits ou grands, poilus ou glabres, les chiens se sont donné rendez-vous pour sauter, courir, se rouler dans l'herbe.


Plus le chien est grand, plus il est original, plus il est rare, plus il est regardé, admiré, caressé du regard et des mains, et c'est son propriétaire qui en retire la gloire. Qu'importe que certaines toisons auraient plus leurs places dans la neige des montagnes que dans la chaleur moite de Hanoi. Qu'importe que d'autres, affublés de manteaux multicolores, témoignent d'un mauvais goût absolu, l'important est de montrer que l'on a les moyens de ne pas avoir le chien de tout le monde. Ici, corniaud s'abstenir ! Avec la voiture, le jeu était déjà, de jouer à qui a la plus grosse, maintenant, avec le chien, c'est à celui qui aura le plus gros, le plus beau, le plus cher. Et, à voir se pavaner les propriétaires parés d'une fausse modestie tellement criante, je me dis qu'à trop vouloir sauver la face, on finit par la perdre ! Après la voiture et le téléphone portable, le chien vient de rejoindre le panthéon des signes extérieurs de statut social.
À propos, en parlant de chien, j'écris cet article le jour de la fête de la femme, et à défaut d'offrir Big Splash à mon épouse, une fleur me paraît indispensable pour éviter qu'elle ne me garde un chien de sa chienne. J'espère qu'il y a encore un fleuriste ouvert, sinon c'est moi qui l'aura dans l'os !

Gérard BONNAFONT/CVN


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