Nostalgie du Pays des fées

La légende de la grotte Tu Thuc a été racontée par l’écrivain Nguyễn Dữ au XVIe siècle. Une belle histoire de l’amour né entre un homme et une fée. Le lieu de leur rencontre, une grotte qui existe encore de nos jours.

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La légende de la grotte Tu Thuc fait partie du recueil Truyên ki man luc (Les contes merveilleux) de Nguyễn Dữ.
Photo : CTV/CVN

Dans les contes et légendes du Vietnam, les fées et les génies habitent dans des grottes au printemps éternel, idéales pour filer le parfait amour. Les gens de la province de Thanh Hoa prétendent qu’il en existe encore une dans leur montagne côtière, abandonnée aux fougères et aux lières depuis des lustres. Ils lui ont donné le nom de Hang Tu Thuc (Grotte de Tu Thuc). Ce dernier, personnage semi mythique aurait vécu il y a sept cents ans, au temps de la dynastie des Trân (1225-1400). L’histoire a été racontée par Nguyễn Dữ, au XVIe siècle (1), dans son vaste recueil de Truyên ki man luc (Contes merveilleux). En voici le résumé :

Légende de la grotte Tu Thuc

Tu Thuc était fils de mandarin. Lauréat d’un grand concours à l’âge de vingt ans, il fut nommé chef d’un district de la contrée Nord. Libre d’esprit, il ne se pliait pas aisément aux contraintes sociales. Loin de flagorner ses supérieurs et de brimer ses subordonnés, il se plaisait à visiter les beaux sites et à déclamer des vers. À proximité du district, se trouvait une belle pagode isolée du monde extériéur par un vaste jardin garni de pivoines. Tous les ans, au premier mois lunaire, période de la floraison, on y célébrait un office. Les fidèles venaient présenter des offrandes à l’autel et admirer les belles fleurs. C’était la Fête des pivoines.

Cette année-là, Tu Thuc fit un pèlerinage à la pagode. Voulant passer incognito, il se déguisa en étudiant et s’y rendit sans escorte ni palanquin. À l’époque, la religion bouddhique jouissait d’un grand prestige auprès de la Cour royale et les établissements religieux avaient leurs propres lois. Pour préserver le jardin de pivoines, cette pagode prescrivit un règlement selon lequel la personne qui portait atteinte aux plantes serait passible d’une forte amende, ou alors serait condamnée à y travailler comme homme de peine. Or, une jeune fille qui ignorait ce règlement cueillit une fleur dans le jardin. Aussitôt, les gardiens s’emparèrent d’elle et lui sommèrent de payer l’amende. Comme celle-ci avoua qu’elle n’avait pas d’argent sur elle, ils la ligotèrent à une colonne.

La légende de la grotte Tu Thuc en BD.

Au même moment arriva Tu Thuc. Outré par une telle brutalité à l’égard d’une fragile créature, il ordonna de délier les cordes, les gardiens lui rirent au nez. L’un d’eux lui répliqua vertement : «Si vous n’avez pas une ligature de sapèques pour payer l’amende, n’intervenez pas, sinon vous allez avoir des ennuis».

Tu Thuc pensa user de son autorité pour punir les gardiens, mais il se retint à temps pour ne pas créer de scandale. Sans réfléchir, il ôta son manteau de brocart qu’il remit aux gardiens de la pagode en échange de la libération de la jeune fille. Pendant que celle-ci se perdait en remerciements, Tu Thuc eut le temps de contempler son beau visage. Enhardi par son doux regard, il lui demanda : «D’où venez-vous ? À votre accent, il me semble que vous n’êtes pas du pays». «Je suis originaire du lointain district Ai, dans la contrée de Tong Son», répondit timidement la jeune fille.

Tu Thuc fut ravi d’apprendre qu’elle était native du même district que lui. La conversation entre les deux jeunes gens prit un ton plus familier. Au moment de la séparation, la jeune fille ne manqua pas de prier son bienfaiteur d’honorer de sa présence sa modeste demeure si l’occasion se présentait. La carrière mandarinale ne convenait guère à Tu Thuc, qui reçut de fréquents blâmes de ses supérieurs. Une fois, pour avoir pris du retard dans la perception des impôts, il fut sévèrement réprimandé. Il se dit : «Je ne vais pas me laisser humilier pour quelques gerbes de paddy».

Tu Thuc a eu des années de vivre avec une Immortelle dans le monde féérique.
Photo : CTV/CVN

Il suspendit son cachet mandarinal à l’entrée de la salle d’audience en signe de démission et retourna au village natal vivre auprès de ses parents. Un jour, se souvenant de l’invitation de la jeune fille à la Fête des pivoines, il quitta son foyer paternel et partit à sa recherche. Il parcourut toute la contrée de Tong Son, vit de nombreux sites et composa d’exquis poèmes. Nulle trace de la belle. Mais il ne se découragea pas.

Une retrouvaille

Un beau matin, alors qu’il se trouvait au sommet d’un rocher, face à la mer, apparut à ses yeux, au loin, une île, semblable à une fleur de lotus en plein épanouissement. Charmé par sa beauté, Tu Thuc monta dans une barque qui le transporta bientôt sur l’île. Sur le flanc d’une montagne, il aperçut l’entrée d’une grotte et y pénétra en écartant les branches d’arbres enchevêtrées. À peine eût-il fait quelques pas à l’intérieur qu’elle se ferma. Il avança en tâtonnant, guidé par une lumière qui luisait au fond de la grotte. Là, une haute montagne lui barra le chemin. Le cœur battant, il l’escalada. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque, arrivé au sommet, il découvrit un somptueux palais d’où sortirent deux frêles jeunes filles en habits verts. L’une d’elles dit : «Voilà le gendre de la famille qui arrive !»

Tu Thuc les suivit. Autour de lui, les senteurs les plus subtiles s’exhalaient des fleurs rares. Sur le perron, une dame empreinte d’une grande dignité l’accueillit. Elle lui dit en souriant : «Nous avons le grand plaisir de recevoir un hôte de marque. Notre visiteur se trouve dans la sixième des trente-six grottes qui composent le royaume des fées dont je suis la reine. L’endroit lui plaît-il ?» «Il est féerique», répondit Tu Thuc, émerveillé.

La reine reprit : «Mais, attendez donc, vous allez revoir une ancienne connaissance». Elle fit un signe à une servante. Peu de temps après, une jeune fille d’une beauté irréelle s’avança dans le corridor. Tu Thuc la reconnut. C’était la fille qui avait cueilli la fleur à la Fête des pivoines. Il s’écria : «Je ne m’attendais point à vous revoir ici. Je vous ai cherchée partout. Les retrouvailles furent touchantes». La reine dit : «Ma fille porte le nom de Giang Huong. Elle a eu de graves ennuis à la Fêtes des pivoines. Grâce à vous, elle a pu se sortir de ce mauvais pas. Vous l’avez cherchée et retrouvée. Ainsi, le Ciel a voulu vous unir. Célébrons les noces».

Les paroles de la reine ne semblaient pas déplaire à Tu Thuc. Toutes les fées du royaume assistèrent à la cérémonie. On portait des toasts de bienvenue au nouveau marié. On adressait au couple des souhaits et des vœux de bonheur. Trois ans s’écoulèrent pendant lesquels les deux époux vécurent des jours heureux. Tu Thuc nageait dans le bonheur, comblé par les richesses et la tendresse de Giang Huong, passant son temps à visiter les grottes des fées et à composer de beaux vers. À la longue, il sombra dans la nostalgie. Un soir, il confia à sa femme : «Il y a longtemps que j’ai quitté mon village natal. Je voudrais bien revoir mes parents».

La grotte dans laquelle Tu Thuc rencontre la fée, située dans la province de Thanh Hoa. Photo : CTV/CVN

Retour au village natal

Comme Giang Huong demeurait indécise, il ajouta : «Ce sera la seule fois avant de revenir pour toujours avec toi». La femme eut beau tenté de persuader son mari de la vanité du monde terrestre, elle ne faisait qu’aggraver son mal. Tu Thuc se languissait, maigrissait. Giang Huong dut en faire part à la reine des fées qui dit dans un soupir : «Je ne pensais pas qu’il était encore si attaché aux choses de la vie profane».

Elle fit venir un char de nuages dans lequel monta Tu Thuc. En un clin d’œil, celui-ci retrouva son village natal avec ses sommets rocheux, son cours d’eau limpide et ses haies de bambou millénaires. Le char le déposa sur la berge du fleuve où, enfant, il s’amusait. Mais, en parcourant le village, il eut un doute sur son authenticité. «Comment se fait- il qu’en trois ans, tout ait changé ?» se demanda-t-il. Aucun visage familier. Un villageois lui affirma qu’il se trouvait bien dans le pays qui lui avait donné le jour. Les gens ne semblaient pas se souvenir du nom de ses parents. À la fin, Tu Thuc se présenta à un vieillard qui, après longue réflexion, lui dit : «En effet, j’ai ouï-dire par mes arrière-grands-parents qu’il avait existé une personne de ce nom, un mandarin qui avait démissionné et qui s’était perdu dans les montagnes au cours d’une randonnée. Il y a de cela quelques trois cents ans».

Se rappelant les conseils de sa femme, Tu Thuc se rendit compte de la vanité du monde terrestre. Tristement, il regardait le banian qu’il avait planté et qui était devenu un grand arbre séculaire dont les racines pendaient aux branches feuillues. Il se sentait seul au milieu d’une foule curieuse. L’air absent, il revint vers le char, mais celui-ci avait disparu. Le cœur en peine, il reprit le chemin de la grotte dans l’espoir de rejoindre le royaume des fées, mais les ronces et épines l’avaient bouché. Longuement, il erra dans l’immensité de la nature. On n’eut plus de ses nouvelles. La grotte témoin de son bonheur fut baptisée grotte de Tu Thuc.

(À suivre)
Huu Ngoc/CVN

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1. Ne pas confondre avec Nguyễn Du, XVIIIe siècle, auteur du chef d’œuvre Truyên Kiều (Histoire de Kiêu).

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