Marcher un coup

Déroutant. C’est le moins que le Vietnam puisse être pour l’Occidental qui le découvre la première fois. Petit florilège d’étonnement… de trottoir.

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Quand la chaussée devient piétonne.
Photo: Gérard Bonnafont/CVN

Si je prends la définition à la lettre, le trottoir est la partie surélevée d’une voie urbaine, destinée à la circulation des piétons. Et quand on circule, comme l’affirme si bien l’expression péremptoire "Circulez, il n’y a rien à voir!", il n’y a effectivement rien d’autre à voir ou à faire que de se rendre d’un point à un autre en marchant. À la rigueur, on peut encore faire du lèche-vitrine pour occuper son temps, mais l’activité du trottoir se limite à cela en Occident...

Au Vietnam, le concept de trottoir est tout autre. Loin d’être dédié au seul piéton, il recèle une multitude d’activités, qui peut surprendre le nouvel arrivant.

Coup de pompe?

C’est quoi ce drôle de machin au bord du trottoir? Une pompe à main, vestige de la Belle Époque, vous annonce que vous trouverez réponse à vos problèmes. Son propriétaire sera heureux de prendre en main votre vélo récalcitrant pour lui redonner de l’air et du maillon. Il suffit de s’installer confortablement sur un petit siège à proximité, en dégustant un trà đá (thé glacé) ou trà nóng (thé chaud) selon la saison, et d’observer l’artiste au travail. Deux démonte-pneus, une bassine, un peu d’eau, et le diagnostic est posé: trou dans la chambre à air. Une rustine, un peu de colle, et le trou est bouché. Un clou, un marteau, une pince coupante, et le maillon récalcitrant se solidarise à nouveau du groupe. Vous n’avez pas fini de boire votre trà que déjà votre vélo vous attend, prêt à repartir avec vous pour de nouvelles aventures.

Je suis toujours émerveillé de voir avec quelle maestria et si peu de moyens ces hommes et femmes, installés sur un bout de trottoir, parviennent à accomplir toutes sortes de réparations en si peu de temps. En France, il faudrait apporter le vélo chez le réparateur de cycles, quitte à traverser la ville avec le vélo sur le dos et laisser le vélo en réparation un jour ou deux dans le meilleur des cas. Ou, le faire soi-même!

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Au Vietnam, le concept de trottoir est tout autre.
Loin d’être dédié au seul piéton, il recèle une multitude d’activités,
qui peut surprendre le nouvel arrivant.
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En ce qui me concerne, je trouve plutôt agréable le fait de ne pas avoir à se soucier de toujours transporter chambre à air et matériel de réparation, au cas où… En outre, je ne suis pas certain que la réparation par mes propres moyens serait aussi rapide et aussi sûre!

Coup de la panne?

Votre jauge à essence manifeste des signes de grande détresse? L’angoisse vous étreint car vous savez que la prochaine station se trouve à l’autre bout de cette très, très longue avenue de plusieurs kilomètres? Vous vous voyez déjà poussant votre moto sous la chaleur redoutable d’un après-midi d’été? Pas de panique!

Regardez attentivement sur les bords de trottoirs! Quelques centaines de mètres et vous avez de fortes chances de découvrir une drôle de bouteille en plastique, contenant un liquide de couleur rouge ou verte. Non, ce n’est pas un cocktail vitaminé destiné à vous faire accomplir quelque prouesse sportive. C’est bel et bien une promesse de carburant pour votre moto assoiffée.

D’ailleurs, à peine arrêté à côté de cet opportun récipient, vous voyez surgir de l’ombre d’un arbre ou du couloir d’une maison l’heureux concessionnaire de la bouteille, qui vous propose illico de vous vendre généreusement deux litres ou plus de carburant. Si vous acceptez, contraint par la hantise de la panne sèche, vous le verrez retourner sur ses pas pour aller chercher, d’on ne sait trop où, un petit bidon dont il videra le contenu dans votre réservoir.

Sur le trottoir, on peut déguster un "trà đá" (thé glacé) ou "trà nóng" (thé chaud) selon la saison.
Photo: ST/CVN

Et peu importe que le prix du litre soit 50% plus cher qu’à la pompe à essence, que l’entonnoir qui a servi à transvaser le carburant soit le même qui a servi à une vidange deux minutes avant, que ledit carburant soit parfois allongé d’eau ou d’autres ingrédients peu conformes au cahier des charges d’un honnête carburant officiel. Nécessité fait loi! Et dans le fond, ces petits désagréments sont préférables au ridicule de devoir ahaner à côté de sa moto sur plusieurs centaines de mètres pour cause de vide absolu dans le réservoir.

Coup de clé?

Un double de clé à faire? Un cadenas récalcitrant? Là encore, le trottoir des grandes villes a la solution à votre problème. Il suffit de repérer un coffret en bois assorti d’une meule à clé: l’atelier du serrurier! C’est pour moi toujours un spectacle fascinant que de voir cet artisan à l’œuvre. Il prend la clef que je lui tends et, après une seconde d’observation, sélectionne parmi un choix de matrices, enfilées sur un fil de fer, celle qui correspond à la clef que je veux.

Puis, il positionne la clef originale et matrice sur sa meule, et tandis qu’un disque témoin suit les contours de la clef originale, un second disque creuse fidèlement les aspérités et les gorges sur la matrice. L’homme de l’art reprend les choses en main et, en quelques coups de limes d’une dextérité incroyable, il gomme les résidus de limaille, affine les pleins et les creux, d’un œil exercé, vérifie l’exacte similitude entre les deux clefs, l’ancienne et la nouvelle, et me les donne d’un air satisfait. Tout ça, en moins de cinq minutes.

D’ailleurs, quand je dis "il", je devrais dire "elle", car il y a de plus en plus de femmes qui exercent cette activité, accroupie des heures durant derrière leur meule.

Et encore, je ne cite ici que quelques-uns des nombreux métiers qui se sont installés sur les trottoirs, transformant ceux-ci en zone artisanale. Scieurs de planches ou de tubes, forgerons, cireurs de chaussures, vendeurs de bibelots et colifichets, restaurants improvisés, coiffeurs de rue, vendeuses de pains, marchands de billets de loterie, rabatteurs pour restaurants ou salons de massage… Le trottoir vietnamien est loin d’être un lieu de promenade.

Être piéton, c’est apprendre à piétiner pour éviter de trépigner!


Gérard Bonnafont/CVN

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