Manque de flair

Un homme averti en vaut deux, dit le proverbe. Mais parfois l’un des deux est aux abonnés absents et laisse le second commettre l’erreur qui aurait pu être évitée. Au Vietnam comme ailleurs…

>>Ça ira mieux demain

>>Sans aucun regret

>>Étoiles filantes

Parfois, marcher est plus rapide !

Les jours précédant le «Têt ta» (Nouvel An lunaire), le Vietnam est pris d’une frénésie à donner le vertige. Sûr que les génies qui veillent sur nous depuis là-haut ont du mal à reconnaître les leurs. C’est qu’il faut être fin prêt pour le jour J. Maison nettoyée à fond, repas traditionnel confectionné, garde-robe renouvelée, famille réunie… Tout concourt à une agitation extrême. Les magasins, les avions, les trains sont envahis d’une foule trémulante. La circulation urbaine rendrait fou un phlébologue. Bref, un moment à ne pas mettre un ermite dehors. Alors qu’étais-je venu faire dans cette galère, à vouloir voyager à travers le Vietnam avec deux couples d’amis ?

Trop aimable

Ceux qui ont la patience de lire ces lignes hebdomadaires se souviendront peut-être qu’au cours de cette tribulation touristique, une de nos valises avait décidé de nous faire faux bond, lors d’un vol intérieur. L’avis de recherche que nous avions lancé ayant fait long feu, nous avions décidé de prendre le taureau par les cornes, ou plutôt de nous adresser au ciel plutôt qu’à ses saints.

Nous profitons donc de notre passage à Hô Chi Minh-Ville pour aller à la rencontre des responsables de la compagnie aérienne qui avait la charge de nous transporter à bon port, nous et nos bagages. Pendant que la partie féminine de la troupe se perd dans le dédale du marché Bên Thành, la partie masculine se poste en bordure de trottoir pour héler un taxi.

L’attente est brève : un magnifi-que taxi blanc ralentit à notre hauteur. Sur sa portière avant, un panonceau arbore fièrement le nom d’une compagnie réputée. Juste un petit doute sur la couleur du taxi, car habituellement, cette compagnie s’habille plutôt en vert. Mais le numéro de téléphone qui s’affiche en gros sur le flanc du véhicule correspond à celui de la compagnie en question, et comme cela fait quelque temps que je ne suis pas venu à Hô Chi Minh-Ville, sans doute, s’est-elle mise au blanc et vert par ici ! Donc, c’est sans appréhension que je réponds à l’invite du chauffeur, entraînant mes compagnons dans mon sillage.

L’agitation du Têt aidant, nous sommes rapidement coincés dans les embouteillages. Durant les 200 mètres que nous parcourons à la vitesse d’un escargot valétudinaire, je suis occupé à répondre aux questions de mes amis, étonnés par ce qu’ils voient autour d’eux. Au cours de ces explications, mon œil glisse sur le tachymètre et je dois m’y prendre à deux fois pour comprendre ce qui se passe.

Tandis que nous sommes arrêtés, le compteur de distance continue à défiler comme le chronomètre d’un entraîneur de cheval de course ! Alors que nous aurions marché environ 200 mètres, nous en avions franchi 500 en longeant le même trottoir… Même un béotien en géométrie comprendrait que deux lignes parallèles partant du même point et atteignant le même objectif ne peuvent avoir une longueur différente !

Voulant vérifier le montant au kilomètre, je constate que ni le nom du chauffeur, ni les indications tarifaires habituelles ne figurent sur le tableau de bord. Nous sommes dans un faux taxi ! Vite, sortir de là… à la vietnamienne. J’annonce calmement à notre sympathique chauffeur (car il l’est, le bougre !) que son tachymètre a un problème. Il ignore ma remarque tout en souriant. J’insiste donc en lui expliquant qu’il est impossible que nous ayons parcouru une telle distance, et qu’il faut qu’il répare ce compteur.

Le sourire disparaît, le taxi s’arrête le long du trottoir, et le chauffeur exige le paiement d’une course de 250 m qui équivaut à celle de 2 km. Le montant est modeste, mais l’honneur doit être sauf. Je lui communique donc quelques informations supplémentaires, à savoir que j’habite ici depuis plusieurs lustres, que je ne suis pas tout à fait un imbécile et qu’il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages ! Ceci sur un ton étal.

Le xich lô (cyclo-pousse).

Avant même que je ne sorte l’arme ultime, à savoir le téléphone et le numéro de la compagnie dont il est sensé être un représentant, le chauffeur, devenu un rien agressif, se penche devant moi, ouvre la portière et nous fait signe de sortir du véhicule, sans demander de paiement. Ce que nous faisons en commun accord, conscients que l’apparente mansuétude de l’arnaqueur établit la preuve indubitable de son escroquerie.

À peine débarqués, à peine récupérés par un second taxi, de même couleur mais sous le drapeau d’une autre compagnie, portant in utero toutes les marques de l’honnêteté : nom du chauffeur, tarif, conditions de transport, hotline pour porter plainte éventuellement…, bref, tout ce qui suffit à nous rassurer. Quiétude renforcée, après quelques tours de rue par le rythme normal du tachymètre.

Peine perdue

Complices d’habitacle, je raconte notre mésaventure à un chauffeur blanchi sous le harnais, qui compatit aimablement. Machinalement, je porte la main à ma poche extérieure gauche, celle qui se trouve du côté chauffeur. Juste assez pour m’apercevoir que l’escroc est aussi un voleur. Mon portefeuille, avec menu argent, pièces d’identité, cartes bancaires et autres cartes de fidélité, a disparu. Le dernier espoir qu’il fût oublié dans ma chambre d’hôtel s’envolera à notre retour dans celui-ci…

Je dois avouer que ce genre d’aléas, en dehors des tracasseries administratives pour faire bloquer ceci, renouveler cela, ne me perturbe guère. Seul le sentiment d’avoir été le dindon de la farce me gêne aux alentours de la fierté. D’autant qu’un de mes amis, sans malignité aucune, souligne que je les avais prévenus de se méfier de certains taxis et de ne prendre que ceux de certaines compagnies !

Méditant sur le sort de l’arroseur arrosé, je me laisse conduire jusqu’à notre objectif final : l’immeuble de la compagnie aérienne à laquelle nous allions demander des comptes pour l’envol (ou le vol ?) de notre valise. D’étages en étages, de services en services, nous réussissons à rencontrer la bonne personne, ou du moins celle qui se sent responsable de notre dol.

Malgré ses recherches, l’écran radar reste vide. Aucun écho d’une valise de 10 kg, de vêtements, médicaments, produits de toilettes. Il faut se rendre à l’évidence, la valise a disparue, envolée corps et biens. Nous avons beau nous référer à la technologie qui permet de suivre le déplacement d’une valise à travers le monde. Nous avons beau expliquer que même si notre valise a voulu prendre quelques vacances dans une destination éloignée, nous ne lui en voudrons pas. Rien !

Avec résignation, nous acceptons de remplir les formulaires pour toucher une compensation de misère, et d’autres encore pour faire valoir nos droits auprès d’une assurance. Et là, Ubu entre en scène. Comme la valise était enregistrée à mon nom (même si elle ne m’appartient pas), c’est moi qui dois recevoir la compensation. Pour cela, c’est très simple, il suffit de communiquer mon numéro de compte bancaire. Or, comme je n’ai pas pour habitude d’encombrer ma mémoire avec des numéros de compte, ils se trouvent dans mon portefeuille. Portefeuille, si vous suivez bien, qui se trouve alors dans d’autres poches que les miennes. Donc, impossible de répondre à cette exigence.

Qu’importe, la somme est tellement minime que je peux la toucher en espèces. Il suffit de présenter mon passeport. Oui, mais mon passeport est à la réception de l’hôtel, à une heure de voiture, à cause des embouteillages ! Heureusement, si les ordinateurs sont incapables de suivre à la trace une valise, ils peuvent me permettre d’accéder à mes courriels, de récupérer une photo de passeport qui traîne dedans, et d’en faire une copie…

Une matinée et un portefeuille perdus pour une valise envolée. On dit que l’on apprend de ses erreurs, alors ce fût certainement une journée instructive !


Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN

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