Les deux visages de la campagne vietnamienne

La campagne vietnamienne est très connue pour ses rizières, ses villages paisibles entourés de denses massifs de bambou, ses troupeaux de buffles sur les chemins vicinaux. Aujourd’hui, une partie de sa physionomie a changé mais ces images d’Épinal deumeurent dans la poésie.

J’ai le plaisir de recevoir en même temps deux cadeaux culturels : deux recueils de poèmes. Le premier, Thôn ca (Chansons rustiques), édition de luxe, gros volume de 800 pages, rassemble les œuvres complètes du poète de la vie rustique Doàn Van Cu (1913-2004). L’autre, intitulé Huong quê (Parfum champêtre) est un modeste cahier d’une trentaine de pages ronéotypées présentant des poèmes de paysans du village de Thanh Vân.

 

Buffles, petites pâtres et bambous, des images de la campagne vietnamienne.

La lecture comparée de ces deux ouvrages nous permet de saisir la différence entre la campagne ancienne et la campagne nouvelle, entre le village traditionnel au temps de la colonisation française et le village évoluant depuis 70 ans, à partir de la Révolution d’Août 1945 qui a rendu l’indépendance au pays.

Le charme suranné des villages traditionnels

Mon regretté ami Doàn Van Cu était maître d’école à la campagne avant de devenir écrivain professionnel, après le succès de son recueil de poésies Thôn ca (1944). Je me rappelle toujours la visite que je lui ai faite à son village de Dô Quan dans la province de Nam Dinh, province au cœur du delta du fleuve Rouge. C’était vers la fin des années 1940, au début de la guerre de résistance contre la reconquête française du Vietnam. Nos forces populaires encerclaient la garnison française de la ville de Nam Dinh, la campagne environnante dont faisait partie Dô Quan était une zone libre.

Mon ami m’accueillit en barque, parce qu’en été, les rizières étaient inondées. Le maître d’école aux manières simples et affables était ravi de me faire sentir le charme suranné du village traditionnel, celui qu’il chante dans son recueil Thôn ca. Le village pour lui, c’est «quelques dizaines de paillotes», «une pagode hautement perchée» «le toit de la maison commune», «la haie de bambou protectrice», «une rivière claire tout autour», «un petit temple perdu», «les midis d’été emplis de sons de flûte aérienne qu’écoutent buffles et bœufs au repos, les talus verts émeraudes des rizières, les aboiements de chien à la tombée de la nuit, les cocoricos à l’aurore, le bruit de l’eau écopée au clair de lune, le remue-ménage pendant la moisson, les fêtes printanières sans fin».

 

Moisson du riz..

Le charme désuet du marché du Têt

Parmi les poèmes de Doàn Van Cu, le marché du Têt est le plus célèbre. Il y décrit l’allégresse collective de tous les villageois à la veille du Nouvel An lunaire. En voici quelques strophes traduites par Pham Huy Thông :

«Sur le chemin qui ourle de blanc le rebord des collines verdoyantes,

Les gens des métairies par foules animées se rendent au marché du Nouvel An.

Ils s’en vont joyeusement en longues files sur l’herbe bleutée ;

Bambins en veste rouge qui trottinent, trottinent,

Vieux, plus rares, qui, s’appuyant sur des bâtons, s’avancent le dos courbé,

Jeunes filles au cache-sein écarlate qui dérobent leurs lèvres pour sourire en silence,

Nourrissons cherchant à glisser leurs têtes près du cache sein maternel…

Deux villageois portant ensemble un cochon suspendu, courent en tête,

Avec un bœuf jaunes amusant à voir attaché à leurs pas.

… Acheteurs et vendeurs entrent et sortent et se pressent à la porte du marché.

Un buffle, dressé sur ses pattes, les yeux mi-clos, fait semblant de dormir

Pour mieux écouter un client au verbe tonitruant.

Le vendeur d’estampes ployant sous le poids d’une paire de paniers.

Cherche un endroit bien bondé pour s’installer et étaler sa marchandise.

Un lettré s’arc-boutant l’échine sur une planche qui fait lit,

Frotte l’encre au creux de l’encrier et s’applique à calligraphier des poèmes en l’honneur du printemps.

Le vieux maître confucianiste s’arrête et, se lissant la barbiche,

Lit à voix basse des sentences parallèles inscrites sur du papier rouge.

La vieille aubergiste qui tient boutique tout auprès d’un pagodon vétuste,

A les cheveux par l’eau du temps lavés d’une blancheur éclatante.

Un marchand d’objets du culte, la tête enserrée dans un turban marron,

Assis, remet en ordre un amas de lingots d’or votifs sur une natte.

Huu Ngoc/CVN

(À suivre)

 

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