Le destin d'un roi en exil

Au temps de la colonisation française, parmi les héros vietnamiens infortunés de la lutte "inégale" contre cet occupant, l’une des figures les plus attachantes fut sans doute Duy Tân, roi à 7 ans, et exilé à 16 ans.

>>Mise en œuvre de la restauration du palais Kiên Trung à Huê

>>Carré mandarin, l’un des trésors de la dynastie des Nguyên

>>Tiêng Dân, la voix du peuple sous la colonisation française

Le petit roi Duy Tân, en costume de Cour.
Photo : Archives/CVN

Après avoir achevé la conquête du pays en 1884, les Français proclamèrent le protectorat du Tonkin et de l’Annam (Nord et Centre du Vietnam), maintenant la Cour de Huê, avec tout l’appareil mandarinal. Les rois de la dynastie des Nguyên ne régnaient que de nom. Ceux qui faisaient peu ou prou preuve d’indépendance étaient brutalement écartés. C’est ainsi que, taxé de folie, Thành Thái (règne de 1889 à 1907) dut abdiquer avant d’être exilé. Son fils Duy Tân, âgé de 7 ans, fut intronisé en 1907 par les autorités françaises qui croyaient pouvoir facilement manipuler un enfant. Beaucoup d’anecdotes circulent encore sur l’intelligence, la perspicacité et le patriotisme du petit prince.

Mouvement Cân Vuong ou "Servir le roi"

Le pays baignait alors dans l’atmosphère de révolte anti-française entretenue par le mouvement de résistance déclenché depuis 1885 par les lettrés confucéens dont nombre de mandarins. Le roi était pris comme symbole de la nation : le mouvement Cân Vuong ou "Servir le roi" devait durer jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Avec la Première Guerre mondiale, l’envoi sur les fronts français de dizaines de milliers de soldats et d’ouvriers indigènes mobilisés de force jetait de l’huile sur le feu. La Société pour la restauration du Vietnam (Viêt Nam Quang Phuc Hôi) affaiblie par une répression sanglante, allait connaître un rebondissement grâce à sa section du Centre Vietnam (Quang Nam, Quang Ngai) dirigée par les lettrés Trân Cao Vân et Thái Phiên.

Trân Cao Vân fut chargé de contacter le jeune Duy Tân, âgé alors de 14-15 ans, pour lui demander de se joindre au complot et de signer un appel à l’insurrection armée. Pour le faire, le vieux militant, déguisé en pêcheur, amarra sa barque à un débarcadère de la rivière des Parfums où le souverain feignait venir pêcher afin de tromper la vigilance des gardiens. Cet épisode romanesque a inspiré une des plus belles chansons de sampanière de Huê.

Insurgées capturées en 1887 par les Français à la suite du soulèvement de Ba Dinh, le plus marquant du mouvement Cân Vuong.
Photo : Archives/CVN

Les forces sur lesquelles les conspirateurs comptaient essentiellement étaient les soldats mobilisés pour partir en France et rassemblés par milliers dans la cité royale, tous plus au moins démoralisés par les nouvelles de guerre. Le signal de la révolte devait être donné le 3 mai 1916. Malheureusement, à cause d’une indiscrétion suivie d’une trahison, le secret fut, dévoilé. Les Français désarmèrent les nouvelles recrues avant le jour prévu. Le jeune roi, déguisé pour s’échapper de la capitale, fut arrêté et exilé à l’île de Réunion. Trân Cao Vân et Thái Phiên furent décapités.

Le roi déchu Duy Tân allait passer les 29 années restantes de sa vie dans la petite île française de l’Océan Indien. Sa mère, sa femme et sa sœur devaient rentrer au Vietnam pour fuir un climat qui ne leur convenait pas. Il s’est fait radioélectricien pour gagner sa vie et a fondé une nouvelle famille. Esprit généreux et ouvert, il a soutenu le Front populaire en 1936. Il a demandé plusieurs fois, mais en vain, à aller vivre en France. Il s’est rallié en 1940 à la France Libre du général de Gaulle, ce qui lui a valu la médaille de la Résistance. Il a servi comme quartier maître radios sur le destroyer Léopard à la Réunion.

Duy Tân, une image de patriotisme

Le ministère des Colonies a tout fait pour contrecarrer les projets d’une meilleure utilisation du prince (fréquentation de l’École britannique Ribberford pour la formation des officiers, participation aux derniers combats de libération du sol français). En 1945, sur l’ordre de de Gaulle, Vinh San (Duy Tân) fut nommé sous-lieutenant, capitaine puis commandant.

Au Vietnam, après la Révolution d’Août, la première guerre d’Indochine s’annonçait. On parlait du retour de Duy Tân au pays vers mars 1946 (accompagné de de Gaulle) pour réintégrer son trône. En attendant, le prince quitta Paris pour la Réunion afin de visiter sa famille. Le 27 décembre 1945, il périt dans un accident d’avion sur le trajet Fort Lamy-Bangui. Les enquêtes n’ont révélé aucun complot.

Quel aurait pu être le rôle de Duy Tân s’il était revenu au Vietnam ? Aurait-il été une carte contre son cousin le roi Bao Dai ? Contre ou pour le gouvernement Hô Chi Minh ? Un outil inconscient du clan colonialiste ? Personne ne pourrait le dire. En tout cas, dans son testament politique, le prince a affirmé sa position politique : un Vietnam unifié, indépendant, collaborant avec la France, lui déléguant provisoirement les affaires étrangères et la défense (conditions inacceptables à l’époque par les colonialistes)(1).

Les chercheurs ont découvert aux archives d’Aix-en-Provence de la France d’Outre-mer l’arrêté du 3 décembre 1945 du ministère des Colonies stipulant : "M. Soustelle est d’accord pour laisser le prince rentrer à la Réunion. Afin de réserver l’avenir, il a été décidé que le prince Vinh San garderait son statut militaire jusqu’à nouvel ordre"(2). Serait-il possible que le prince Vinh San, n’ayant pu obtenir ses conditions, ait été forcé ou ait demandé de rentrer à la Réunion ?

De toute façon, Duy Tân reste une image de patriotisme. Le retour de ses cendres au Vietnam en 1987 fut considéré comme un événement national.

Huu Ngoc
(Juillet 2001)

Rédactrice en chef : Nguyễn Hồng Nga

Adresse : 79, rue Ly Thuong Kiêt, Hanoï, Vietnam.

Permis de publication : 25/GP-BTTTT

Tél : (+84) 24 38 25 20 96

E-mail : courrier@vnanet.vn, courrier.cvn@gmail.com

back to top