Le chant des sirènes

On connaît la petite sirène d'Andersen, ou les sirènes du port d'Alexandrie… Mais, qui connaît les sirènes de Hanoï ?

>>Dur de se faire comprendre

>>Comme par magie

>>De blanc et de rouge

Installé temporairement en hauteur, de mes fenêtres, j'ai une vue imprenable sur le lac de l’Ouest. Œil gigantesque qui veille sur Hanoï, il change au fil des caprices du ciel. Lumineux quand il joue avec les rayons du soleil, larmoyant quand la pluie lui titille la pupille, morne quand le brouillard lui rend l'iris gris…

À l'heure où je vous écris, il est plutôt morne, totalement noyé sous une bruine indécente qui semble n'avoir pour seul objectif que de nous faire regretter les lendemains de fête. Ceci étant, j'aurai mauvaise grâce à me plaindre, car je possède également un filtre à pollution qui permet à mes poumons de profiter d'un statut que pourraient leur envier leurs congénères du centre-ville. Non, il ne s'agit pas d'un énorme masque bucco-nasal, mais d'une vaste étendue verte qui se prélasse le long du lac.

D'où je suis, je vois les frondaisons des arbres qui frémissent sous l'effort. Dame! La photosynthèse n'est pas de tout repos, surtout quand le dioxyde de carbone ambiant veut s'arroger tout le territoire. Ça ne rend pas l'atmosphère au beau fixe. Mais, si mes poumons peuvent s'estimer chanceux, mes oreilles le sont beaucoup moins.

Le chant des sirènes pour se faire entendre.
Photo : CTV/CVN

Se méfier des sirènes…

Le Français dit "Tous les chemins mènent à Rome", le Vietnamien dit "Trăm sông đô vê môt biên" (Toutes les rivières retournent à la mer). Moi, je dis "Pour prendre l'avion, il faut d'abord prendre la route !". Si les aéroports ont eu la bonne idée de rester hors de la ville, il faut bien s'y rendre, et pour cela deux solutions (excepté pour les adeptes des chemins de grande randonnée) : le rail ou la route.

Le métro qui doit relier l’aéroport international de Nôi Bài au centre-ville de Hanoï étant encore dans les cartons, il reste la route. Une belle chaussée rectiligne qui a vu le jour en 2015, dont l'aéroport se sert comme d'une paille pour aspirer tout ce qui peut rouler : voitures, autobus, autocars, motocyclettes, vélos même. Certes, en cours de route, la sélection naturelle s'effectue : les quatre-roues restent entre eux, tandis que les deux-roues s'éclipsent sur une voie parallèle. Mais au début, tout le monde s'engouffre sur le même axe, qui pétaradant, qui vrombissant, qui rugissant, qui hurlant… J'ai bien dit "hurlant" !

Je ne parle pas ici des individus coléreux qui invectivent leurs convives de bitume à la moindre erreur de trajectoire de ces derniers. Invectives qui se perdent au fil du vent et du bruit des moteurs… Je parle des sirènes qui retentissent au fil des événements et des usagers de cette prolongation des pistes d'atterrissage. Avec le temps, j'ai appris à différencier les stridulations et cornements, qui accompagnent chaque type d'événements.

D'abord, le ton pressant des ambulances qui demandent le passage. C'est une sirène qui inquiète et qui rassure en même temps. On se dit que l'on n'aimerait pas être à la place de celui qui s'y fait transporter, mais on se dit aussi qu'on aimerait y être rapidement si un accident devait nous arriver. Au fil des jours, comme pour les riverains de voie ferrée, la sirène d'ambulance est devenue un bruit de fond auquel je ne prête plus guère attention. Seules son absence ou sa profusion soudaine pourraient m'intriguer. La première m'étonnerait car cela voudrait dire qu'une journée sans urgences médicales ne relèverait pas de l'utopie, la seconde m'angoisserait car cela signifierait qu'un drame s'est produit là-bas, en direction ou pire à l'aéroport. Puisque c'est encore la période des vœux, je souhaite que 2018 m'accorde l'absence et m'exempte de la profusion.

… qui finissent en queue de poisson

Sur un autre ton, il y a Sur un autre ton, il y a la tonalité impérative des convois officiels. C'est un bruit qui rend curieux. En effet, qui n'a pas envie de savoir quel personnage important passe sous ses fenêtres. Enfin…au début ! Parce que, le Vietnam reçoit souvent des personnages importants, j'en serai à passer sans cesse de mon bureau à mes croisées pour regarder défiler les toits noirs de voitures officielles, et à tenter de déchiffrer les couleurs des drapeaux qui flottent de part et d'autre du capot. Ceci étant, je peux mesurer à l'oreille l'importance du visiteur, au nombre de sirènes qui accompagnent le convoi. Plus il y en a, plus le rang est important dans la hiérarchie diplomatique.

Des convois officiels dans la rue avec
Photo : CTV/CVN

Et s'il me faut changer de ton, alors j'évoquerai les sirènes impudentes des camions et des bus qui acceptent difficilement de partager la route avec les plus petits qu'eux. Autant pour l'ambulance, c'est "S'il vous plaît, il y a urgence !", autant pour le convoi officiel, c'est "Laissez passer, il y a importance !", autant pour les camions et confrères c'est "Dégage petit, tu me gênes !" Passe encore que dans une circulation diurne, souvent intense, on cherche à tracer son chemin pour arriver plus vite, mais en pleine nuit, quand la chaussée est déserte, cela relève sans doute de l'addiction. Sauf à rappeler à l'ordre, un fêtard zigzaguant ou un conducteur qui confond moyen de transport et transport amoureux.

Mais, comme si les sirènes extérieures ne suffisaient pas, il y a aussi les sirènes intérieures. Quatre mois que je suis dans mon gratte-ciel, et déjà cinq fois que la sirène d'alarme s'exerce le gosier pour savoir que tout va bien et qu'en cas d'incendie ou autre avanie, chacun pourra bien entendre l'appel à s'extraire du bâtiment le plus vite possible. La première fois, c'est l'affolement : prendre le bébé dans les bras, mettre le chien dans le sac, attraper ce à quoi on tient et le fourrer dans un ballot, ne pas oublier la grand-mère, fermer le gaz, et descendre les 20 étages à pieds, au milieu d'une cohue de gens tout aussi inquiets...pour être accueillis par des gardiens d'immeuble hilares qui annoncent que l'exercice a pris fin et que pour remonter, on peut au moins se servir des ascenseurs.

À la cinquième fois, on est déjà moins performant : bébé, grand-mère, chien, affaires, on entasse tout ça en désordre, on passe le nez sur le palier en laissant la soupe mijoter sur le gaz, on voit que personne ne descend, alors on regarde par la fenêtre pour voir s’il y a de l'affolement au rez-de chaussée ou des voitures de pompiers, et comme tout est tranquille, hormis les sirènes habituelles qui hurlent sur la route, on rentre chez soir et la vie continue.

Comme quoi, Ulysse a bien eu raison de ne pas céder aux sirènes.


Gérard Bonnafont/CVN

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