La révolution en ligne de la BD sud-coréenne

Ses journées commencent et se terminent toutes de la même façon : en dévorant des «webtoons», Park Sun-min est l’un des millions d’adeptes de ces bandes dessinées en ligne qui offrent un nouvel âge d’or au «neuvième art» en Corée du Sud.

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Moins célèbre que le «manga» japonais, la BD sud-coréenne - ou «manhwa» - n’en est pas moins une référence chez les fans. Cette institution vieille d’un siècle, durement malmenée par la crise asiatique des années 1996-1997, a depuis engagé une phénoménale révolution, grâce aux nouvelles technologies.

La rapidité d’Internet en Corée du Sud, l’addiction généralisée aux smartphones et la créativité d’une jeune génération d’artistes «geeks» sont autant d’ingrédients qui ont contribué à cette mue.

Ainsi sont apparus les «webtoons», mot-valise qui associe web et «cartoon» et désigne ces BD publiées en ligne, souvent accessibles gratuitement sur smartphone ou tablette, et qui associent ou pas images figées et mouvantes, couleurs changeantes, effets spéciaux, sons et musiques.

Les «webtoons» présentent des bandes dessinées sur Internet qui gagnent en popularité en Corée du Sud et à l’étranger.

«J’en lis quatre à cinq par jour, une trentaine par semaine, parfois même au travail et même à l’étranger», confie Park Sun-min, un employé de bureau de 30 ans qui dit s’endormir avec un «webtoon» et se réveiller avec un autre.

Cet extraordinaire succès s’est depuis décliné en séries télé, films, jeux vidéo et même en comédies musicales.

Le marché des «webtoons» et de ses produits dérivés pèse aujourd’hui 420 milliards de wons (338 millions d’euros), un chiffre appelé à doubler dans les trois ans, selon Digieco, un cabinet d’études de Séoul.

Trois quarts des lecteurs ont plus de 20 ans

Archétype de cette réussite, «Misaeng» (Vie incomplète) raconte les aventures d’un jeune travailleur dans l’univers impitoyable de l’entreprise sud-coréenne. Publié deux fois par semaine, ce «webtoon» a fédéré un million d’internautes avant que sa version papier ne se vende à deux millions d’exemplaires et que son adaptation fasse un carton à la télévision. Cerise sur le gâteau : le héros de «Misaeng» a donné son nom à une nouvelle législation sur le travail à temps partiel...

«Le marché des webtoons est en train d’exploser», observe Cha Jung-yoon, porte-parole de Naver, premier portail Internet du pays.

Après la crise des années 1990, qui a eu raison de nombreuses maisons d’édition, Internet a ouvert de nouveaux territoires et les moteurs de recherche se sont mis à embaucher des dessinateurs de BD.

Naver a ainsi créé en 2005 une section dédiée aux «webtoons» avec trois artistes qui comptaient 10.000 vues par jour. Aujourd’hui, Naver emploie 220 dessinateurs consultés chaque jour 7,5 millions de fois, explique M. Cha. Et trois quarts des lecteurs ont plus de 20 ans, signe que le phénomène ne touche pas qu’un public d’adolescents.

La plupart des planches sont dessinées sur ordinateur, dans un format vertical sur mesure pour smartphones et tablettes.

«Les +webtoons+ ne sont pas juste des bandes dessinées scannées. C’est un genre nouveau, différent, taillé pour Internet», explique Kim Suk, chercheur à la Korea Creative Content Agency (KOCCA), qui dépend du ministère de la Culture.

L’artiste sud-coréen de «webtoons», Seok-Woo, dans son bureau à Bucheon, à l’ouest de Séoul.

«La généralisation des smartphones en 2009 a constitué un tournant pour les +webtoons+», souligne-t-il. Plus de 80% des 51 millions de Sud-Coréens ont un smartphone, ce qui permet aux fans de lire partout, notamment dans les transports en commun.

Rude concurrence entre artistes

Les «webtoons» sont vraiment devenus le gagne-pain de Seok-Woo après qu’une de ses BD eut gagné en 2007 un concours permettant de publier régulièrement sur Naver. «De nombreux artistes s’inspirent de leur propre vécu, ce qui parle aux lecteurs», explique le dessinateur de 32 ans qui écrit sous son seul prénom.

Comédie romantique, horreur, fresque historique, polar... Il y en a pour tous les goûts. Mais les personnages principaux sont rarement des super-héros. Le genre explore plus souvent les travers d’une société moderne en pleine mutation, évoquant la pauvreté, le harcèlement scolaire, le suicide, le chômage des jeunes...

Aujourd’hui, quelques dizaines de dessinateurs gagnent plus de 100.000 dollars par an, leur salaire de base gonflant avec la publicité et les droits d’auteurs liés aux adaptations. Mais la concurrence est rude. Ils sont des centaines à poster leurs «webtoons» chaque semaine en espérant un nombre de clics suffisant pour attirer l’attention des portails Internet à même de leur faire signer un contrat.

«C’est assez anxiogène car les lecteurs peuvent noter chaque épisode. Chaque semaine, vous vous prenez en pleine face le retour des internautes», observe Seok-Woo.

Depuis le triomphe de son œuvre phare, Orange Marmalade, Seok-Woo, lui, est sur orbite. Il est allé récemment jusqu’en Indonésie pour dédicacer ses travaux.

Fort de leur succès, les «webtoons» sont désormais disponibles sur des plateformes mobiles en Chine et au Japon. Sous la pression des fans, Naver a même récemment créé un site proposant les BD en anglais, en chinois, en thaï et en indonésien.


AFP/VNA/CVN

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