La porte d'entrée des esclaves au Brésil rouverte au nom du patrimoine

À première vue, c'est un simple amas de blocs de pierre usés par le temps, dans la zone portuaire de Rio. Mais ces pierres sont chargées de l'histoire douloureuse des esclaves africains qui ont fait leurs premiers pas au Brésil.

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Vue du site archéologique du Quai du Valongo en juin à Rio.
Photo : AFP/VNA/CVN

En contrebas d'une place recouverte d'une épaisse couche de béton, les pierres du site archéologique du Quai du Valongo sont empreintes des blessures de ce lourd passé qui peinent encore à cicatriser, dans un Brésil qui, malgré son multiculturalisme, reste très marqué par le racisme. Elles ont été foulées il y a deux siècles par près d'un million d'esclaves fraîchement arrivés d'Afrique, essentiellement occidentale.

"C'est un lieu de mémoire unique, qui contient les seuls vestiges encore préservés du débarquement des esclaves en Amérique", explique l'anthropologue Milton Guran, responsable de la candidature de ce site au patrimoine mondial de l'UNESCO.

La candidature a été officialisée en mars 2016 et la décision finale de l'agence onusienne sera prise lors d'une réunion de dix jours à Cracovie en Pologne, à partir du 2 juillet. La ville de Rio, avec ses paysages cariocas entre la montagne et la mer, est déjà inscrite au patrimoine mondial depuis 2012.

La reconnaissance du Quai du Valongo lui permettrait de figurer dans la même liste que l'île de Gorée : classée au patrimoine mondial en 1978, l'île sénégalaise est reconnue comme le point de départ emblématique des esclaves africains vers l'Amérique.

Héritage lourd à porter

À des milliers de kilomètres de là, de l'autre côté de l'Atlantique, les vestiges du Quai du Valongo permettent de retracer la fin de cet effroyable voyage. "Ceux qui survivaient à la traversée n'avaient que quelques pas à faire pour arriver à leur prochaine destination, le marché aux esclaves, constitué de plusieurs échoppes réparties autour de la place", explique l'historien Claudio Honorato.

L'anthropologue Milton Guran, le 28 juin à Rio.

"Tout le quartier vivait en fonction de ce commerce, il y avait même des fabricants de chaînes et de colliers de fer", ajoute ce chercheur de l'Institut des nouveaux Noirs, un musée qui expose des milliers d'ossements issus d'une gigantesque fosse commune située non loin de Valongo.

Les esclaves ne restaient pas longtemps à Rio. Une fois vendus, ils étaient rapidement acheminés vers les moulins de canne à sucre du Nord-Est, les mines d'or du Minas Gerais ou les plantations de café de la région de Sao Paulo.

Les chiffres sont difficiles à établir avec précision, mais la plupart des historiens s'accordent à dire que le Brésil a reçu sur ses côtes plus de quatre millions d'esclaves venus d'Afrique, soit environ 40% des victimes de la traite vers les Amériques. Un héritage lourd à porter pour ce pays qui fut un des derniers à abolir l'esclavage, en 1888.

Enfoui sous terre

Le Quai du Valongo, principale porte d'entrée des esclaves à Rio de la fin du XVIIIe au milieu du XIXe siècle, a progressivement disparu sous terre, sous plusieurs couches de revêtements variés, au gré des rénovations du quartier. Les travaux d'extension de la métropole de Rio ont même fait que Valongo se trouve aujourd'hui à une centaine de mètres de la mer et n'est plus un quai.

Le site archéologique du Quai du Valongo, le 28 juin à Rio.
Photo : AFP/VNA/CVN

Le site archéologique a été mis au jour en 2011, lors de fouilles effectuées avant les travaux de revitalisation de la zone portuaire, un des projets-phare menés en lien avec les jeux Olympiques de 2016.

"Nous savions que le Quai du Valongo se situait en ces lieux, mais nous avons été surpris de constater qu'il avait été aussi bien préservé, même s'il avait été enfoui sous terre aussi longtemps", indique l'archéologue Tania Andrade Lima, responsable de ces fouilles.

"Au-dessus des blocs de pierre grossièrement taillés sur lesquels marchaient les esclaves, on observe encore des îlots de pavés finement ciselés qui les ont recouverts pour former le Quai de l'Impératrice, même s'ils sont beaucoup moins bien préservés", dit-elle.

"Crime contre l'humanité"

Le quai a en effet été totalement rénové et débaptisé en 1843, afin de recevoir la princesse Teresa Cristina Maria de Bourbon, qui a débarqué au Brésil pour épouser l'empereur Pedro II. "Cette superposition est hautement symbolique car elle représente le contraste entre les deux extrêmes de la société: c'est comme si l'impératrice piétinait les esclaves", observe l'archéologue.

"Le Quai de l'Impératrice a été la première tentative d'occulter ce lieu de mémoire", renchérit Claudio Honorato. Il verrait l'inscription du Quai du Valongo au patrimoine mondial comme une "une réparation" face à "un crime contre l'humanité dont leurs descendants font les frais encore aujourd'hui".

Pour Milton Guran, cela permettrait "d'obliger le Brésil à reconnaître ses racines africaines", tout en "stimulant le tourisme de mémoire". Mais pour attirer des touristes en masse, de nombreux efforts sont encore nécessaires, dans ce quartier peu fréquenté et peu sûr où errent des groupes d'usagers de crack.

Protégé par une simple barrière, sans présence policière, le site reste particulièrement vulnérable. Fin juin, une paire de chaussures féminines a été jetée au milieu des vestiges. Une façon de piétiner encore un peu plus ce lieu de mémoire si sensible.

AFP/VNA/CVN

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