Je vous mets au parfum

On dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions, mais il est des paradis qui, sans mauvaises intentions, peuvent se transformer en enfer. Et c'est parti pour une promenade qui promettait d'être merveilleuse.

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Quand j'ai demandé à mes amis ce qu'ils avaient envie de découvrir demain, j'aurais mieux fait de me taire ! Je pensais naïvement qu'ils auraient encore envie de flâner à Hanoï, ou mieux encore de baguenauder autour du lac de l'Ouest, notre Hô Tây. Nous aurions été gentiment bousculés, comme à l'habitude, dans les rues du Vieux quartier où nous aurions pu flemmarder à la terrasse d'un café sous des saules accueillants. À la limite, m'auraient-ils dit qu'ils souhaitaient aller faire un petit tour du côté d'un des nombreux villages d'artisans qui se blottissent près du fleuve Rouge, ma journée se serait passée autrement. Mais je ne sais quel esprit malin leur a soufflé que la Pagode des Parfums (Chùa Huong) pourrait être une belle destination de promenade. Leur ayant laissé le choix, je ne pouvais que m'incliner.

La barque à fond plat, avant l’escalade du sentier...

Ça sent le naufrage

La Pagode des Parfums, lieu mythique pour tous les lecteurs de guide de voyage ou de publicité touristique, lieu sacré pour de nombreux Vietnamiens qui y viennent en pèlerinage lors de la fête du Têt, lieu symbolique de l'effort à accomplir pour élever son esprit.

Nous nous étions rencontrés, elle et moi, il y a 25 ans bientôt. À cette époque, c'était notre guide qui avait jugé que nous ne pouvions venir au Vietnam sans passer par cet endroit. C'était au mois d'avril, et une chaleur étouffante avait suffit à me décourager de gravir le long chemin sinueux pour atteindre la grotte qui préside en ces lieux. Car contrairement à ce que le néophyte peut imaginer, la Pagode des Parfums, c'est avant tout un semble de pagodes et de temples tout au long d'un sentier qui conduit à une immense grotte qui constitue un sanctuaire minéral. à la simple vue des innombrables degrés à escalader en compagnie des imposants degrés du thermomètre, j'avais renoncé à me recueillir dans cette pagode aux parois de stalactites et stalagmites. Depuis, mes pas ne m'y avaient jamais ramené.

C'est donc avec une certaine appréhension que je me laisse mener par le bus vers cet endroit enfoui au fond de ma mémoire, un peu comme ces cochons couchés sur les motos, qui n'en peuvent mais ! Certes, l'annonce qu'un téléphérique, installé depuis, réduisait le temps de montée autant que l'effort me rassérène un peu. Cependant, une sourde angoisse me tenaille : la mariée est trop belle…

Le premier pavé dans la mare de cette journée commence dans la barque qui nous amène au pied de la montagne où se trouve la grotte tant désirée. Nous sommes six dans une barque en tôle, sous un soleil de plomb, ce qui déjà me donne un goût métallique sur la langue. Mais le pire, c'est que la barque ayant un fond plat, elle est de nature profondément instable. Et mon moral en est au même point !

À chaque déhanchement photographique d'un de mes compagnons de bateau, j'émets une injonction de prudence qui confine à l'affolement. Il faut dire que je suis à l'extrémité du bateau, là où la moindre ridule sur l'eau provoque un effet de tangage du plus mauvais présage. En plus, au cours de cette interminable croisière au fil de l'eau, je constate que nous aurions pu prendre un bateau à moteur qui, pour pas moins stable qu'il ne soit, aurait considérablement réduit le temps d'équilibre précaire dans lequel je suis.

Autant vous dire que du paysage, des monts en forme de pains de sucre, des roseaux qui s'inclinent devant nous, je ne vois rien, occupé que je suis à scruter les profondeurs glauques qui menacent de m'engloutir d'un moment à l'autre. Nuque grillée, mains poisseuses de sueur, je débarque sur le sol ferme après une heure de torture nautique. Le soupir de soulagement que je pousse fait frémir les branches des arbres jusqu'au sommet de la montagne !

Aussi difficile à descendre qu'à monter !

Ça sent l'épuisement

Les émotions creusent, et mon estomac me rappelle à des désirs terrestres, bien peu conformes avec ceux de la spiritualité qui règne en ces lieux. Mais comme en tout, il faut savoir raison garder et les lieux de pèlerinage sont souvent parsemés de gargotes qui offrent aux corps fatigués de quoi continuer leur chemin. Et la Pagode des Parfums n'échappe pas à cette règle. Mieux même, il semblerait qu'ici la satiété des ventres soit proportionnelle à l'élévation de l'esprit, tant il y a d'estaminets qui bordent le chemin pierreux qui part à l'assaut de la montagne.

Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, je n'ai pas l'embarras du choix, car étant en saison de basse fréquentation, il y a peu de clients à se mettre sous la dent, et la plupart des devantures sont fermées en attendant des jours meilleurs. Il me faut gravir 148 marches et trébucher sur autant de dalles disjointes pour trouver de quoi me restaurer de façon substantielle. Mais je ne fais pas la fine bouche : les contingences matérielles doivent être secondaires quand on entreprend d'élever son âme. Et en matière d'élévation, je suis heureux de voir que non loin de la table où repose mon bol de riz au porc, le guichet de vente des billets de téléphérique annonce fièrement qu'il est ouvert. Repas achevé, je me précipite pour acquérir les sésames qui nous permettront de conquérir les cimes sans se fatiguer les pieds !

Et de nouveau, la logique vietnamienne m'échappe un peu. Ailleurs, l'habitude veut que le guichet de vente de l'attraction ou du moyen de locomotion se situe à proximité immédiate de ladite attraction ou dudit moyen. Ici non ! Avoir en poche le ticket d'accès aux cabines ne signifie pas que l'on peut en avoir l'usage dans les secondes qui suivent. Il faut les mériter ces œufs qui doivent nous conduire au plus près du ciel, à défaut d'en atteindre le 7e. Les mériter en se tapant de nouveau 250 m de montée, de marches inégales, de cailloux qui roule sous les chaussures, et tout ça sous un soleil complice d'un ciel bleu, qui s'en tape les rayons de bonheur à voir les humains se liquéfier lentement. Si l'apocalypse existe, j'en vis déjà une petite partie !

Un chemin caché dans la verdure pour accéder à la pagode aux Parfums.

Ça sent le décrochage

Exténué, brisé, épuisé, rompu, j'atteins enfin le mont en l'air tant espéré. Les petites cabines qui tiennent ma vie suspendue à un fil s'approche lentement, portes ouvertes, invite à une envolée au-dessus du monde. Mais, au moment de monter dans l'habitacle, je marque un temps d'arrêt qui ne semble pas être au goût du préposé à l'insertion. Il y a déjà 4 personnes installées sur les banquettes, et il me pousse gentiment pour nous convier, mon épouse et moi, à partager espace et sensations avec ces 4 inconnus.

Tout aussi gentiment, je me dégage, en lui demandant quel est le poids maximum que peut transporter chaque cabine, sans risque de terminer son trajet en bas plutôt qu'en haut. Il me répond que chaque cabine peut transporter 6 personnes, donc 4 + 2 = 6. Et là commence un échange sur la différence entre la masse et le nombre. J'essaie de lui expliquer que ce n'est pas le nombre qui compte, mais le poids. Il me rétorque que la cabine peut supporter 450 kg d'amateurs d'émotions fortes, donc 6 personnes x 75 kg, c'est la bonne dose. Mais pas une dose occidentale où la masse en déplacement dépasse souvent les 80 kg ! Le temps que cette question de relativité de l'espace disponible soit réglée, la cabine qui nous a été attribuée a déjà pris son envol, sans nous.

Finalement, seul moment de vrai bonheur dans cette difficile journée, c'est à deux que nous nous retrouvons pour une brève nouvelle lune de miel entre ciel et terre, profitant même d'un arrêt surprise de quelques minutes à 200 m au-dessus d'une canopée qui ressemble à un gros matelas vert. L'angoisse de l'une favorisant son rapprochement vers l'autre, j'aurais voulu que le temps, lui aussi, suspende son vol. Mais inexorablement le treuil nous hisse au sommet. Sommet que je laisse le soin d'atteindre à mes condisciples de route. Les derniers mètres sont souvent les plus durs et ce ne sont pas eux qui me contrediront, vu l'état dans lequel je les retrouve, alors que je paresse à la station de téléphérique. Au retour, sans surprise, il faut détricoter ce que l'on a accompli : descendre ce qui a été monté ! Pas moins pénible pour les genoux ! C'est seulement dans le bus qui nous conduit à Hanoï que je peux enfin respirer!

Finalement, je dois être un des rares à être allé deux fois à la Pagode aux Parfums, sans jamais l'atteindre ! Mais que cela ne vous empêche d'aller visiteur ce site : vous me raconterez !

Texte et photos : Gérard Bonnafont/CVN

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