Et la réponse est…

Ancrées dans notre culture, nos habitudes ont la vie dure. Il faut parfois le regard d’un enfant ou d’un étranger pour s’interroger sur des situations apparemment futiles, dont les réponses sont moins évidentes qu’il n’y paraît. Petit voyage au pays des «Pourquoi ?»

>>S’il te plaît, dessine-moi un Pho !

>>Échappée belle !

>>Marche impossible

>>Histoire de dire…

Pour cette tranche de vie, je prends à témoins tous les parents qui ont eu affaire à la curiosité insatiable d’un enfant de 3 ans. Tous savent bien que la moindre question, apparemment innocente, peut conduire à des extrémités redoutables, qui laissent l’adulte sans voix. Mais le pire, dans tout cela, c’est que l’enfant, non content de nous avoir conduit dans une impasse morale et intellectuelle, insiste pour avoir une réponse : «Pourquoi tu dis plus rien ? Tu sais pas ?».

Curiosité enfantine

À cet instant crucial, il ne reste plus que deux échappatoires. Première solution, perdre sa dignité d’adulte omniscient et répondre «J’en sais rien !», ce qui entraînera inexorablement un petit sourire de commisération ou, pire, un implacable : «Si tu sais pas, je vais demander à maman !» avec tout ce que cela suppose de complications ultérieures, lorsque l’enfant endormi, le père et la mère se retrouveront seuls, et que celui-ci s’entendra dire : «Mais qu’est ce que tu es allé raconter à notre fille ?».

«Tu sauras quand tu seras plus grande !», une réponse préférée des mères vietnamiennes.
Photo : CTV/CVN

Deuxième solution, botter en touche, et s’auréoler du mystère de supériorité, en assénant : «Tu sauras quand tu seras plus grande», ce qui est courir le risque de recevoir un violent revers sous forme de «Pourquoi quand je serais grande ? Je veux maintenant !». Combien d’anodines questions, formulées incidemment au cours d’un jeu, d’une promenade, d’un câlin sur les genoux de papa, se terminent ainsi par cette terrible affirmation : «Bon, maintenant va jouer, papa il est fatigué !», ce qui est le plus monstrueux des alibis éducatifs pour masquer une capitulation pédagogique. Cependant à quelque chose malheur est bon. En effet, ce harcèlement nous oblige à revisiter notre monde en le regardant plus attentivement, et nous y trouvons parfois matière à s’interroger sur des évidences qui ne le sont pas tant que ça.

Candide étonnement

Ce qui est valable pour l’enfant l’est tout autant pour l’étranger dans un pays. Depuis que je me suis installé au Vietnam, quand je pose des questions sur les us et coutumes, j’ai parfois l’impression d’avoir 3 ans. Certes, l’amabilité étant la qualité première des Vietnamiens, on me répond toujours de façon sympathique, mais souvent avec un regard étonné et un demi-sourire amusé, qui semble me dire «Mais pourquoi ce Tây (1), il pose des questions pareilles ?». Et il est des questions dont aujourd’hui je n’ai pas encore de réponses satisfaisantes. Je vous en livre quelques-unes, tout simplement et si vous avez la réponse, je suis preneur. Mais ne me dites surtout pas «Tu sauras quand tu seras plus grand !»

«Pourquoi les maisons vietnamiennes ne sont-elles peintes que sur la façade ?»

C’est vrai, quoi ! Elles sont tellement charmantes ces façades aux couleurs acidulées comme des gourmandises de fête du Têt, que les murs des côtés en béton nu, paraissent d’autant plus laids. À cette question, on peut envisager plusieurs réponses, telle que sauver la face fait partie des fondamentaux de la communication interpersonnelle au Vietnam, donc il est juste de sauver la façade ! «Pourquoi ne pas aussi sauver les côtés ?» On peu aussi imaginer que la maison est du genre féminin, et que son maquillage ne concerne que la face. Et, alors ? Le fond de teint ça se met aussi sur les joues, non ?

«Pourquoi les Vietnamiens épluchent-ils les fruits à l’inverse des Occidentaux ?» En Occident, on épluche en tirant le couteau vers soi, au Vietnam, on le pousse vers l’extérieur. Je sais faire comme cela, mais seulement pour tailler un crayon, et d’ailleurs quand j’ai essayé d’éplucher les légumes de la soupe de cette manière, ma fille était tordue de rire en voyant les carottes-crayons, les pommes de terres-épieux, et les navets-piques, que j’avais obtenus, réduisant de moitié ces vénérables primeurs.

Pourquoi les enfants courent-ils derrière les libellules dans les rizières ?
Photo : Réhann Croqueville/CVN

«Pourquoi faut-il manger trois bols de riz à chaque repas ?» Quand je raconte ça en France, on me regarde avec pitié, en m’imaginant avaler le contenu d’un saladier de riz par repas. Rassurons-nous, au Vietnam, les bols sont de la dimension d’une grosse tasse. Ce qui conduit à se servir trois fois, alors qu’en France, il est très impoli de se servir plusieurs fois. Ce qui amène aussi à se demander : «Pourquoi à l’Ouest du continent eurasien, on dit toujours qu’il faut sortir de table en ayant encore un peu faim, alors qu’à l’Est, on dit qu’il faut avoir le ventre plein et ne plus pouvoir y glisser le moindre grain de riz ?»

«Pourquoi la nourriture court-elle derrière les enfants ?» En Europe, le petit enfant doit manger à table, dès qu’il n’est plus allaité. On a d’ailleurs inventé pour lui la chaise bébé dans laquelle on l’emprisonne, jusqu’à ce qu’il soit assez grand pour comprendre qu’à table, il ne faut pas rigoler. On est là pour manger, et c’est sérieux. Ici, au Vietnam, la table de l’enfant, c’est la rue, la cour, la maison, etc. Il coure, saute, se roule par terre, escalade, et la maman lui court derrière, bol de nourriture à la main, cherchant désespérément à viser la bouche. Le bol se vide selon une vitesse inversement proportionnelle à la vitalité de l’enfant et la résistance de la maman.

«Pourquoi les Vietnamiennes sont-elles aussi belles, quel que soit leur âge ?» Beaucoup des amis ou touristes que je reçois sont subjugués par la grâce et la beauté des femmes de ce pays. Et, ce n’est pas moi qui les contredirais, même si je n’ai toujours pas la réponse. Et tant que nous aurons des pourquoi, nous garderons notre âme d’enfant, c’est tout de même mieux que devenir un vieux ronchon.


Gérard Bonnafont/CVN

(1) un Tây : terme familier qu’utilisent les Vietnamiens pour designer un étranger venu des pays occidentaux, ndlr)

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