Échecs géniaux

Dans les contes, les génies sont souvent bienveillants envers les hommes, à condition que ceux-ci le méritent. Voici une belle légende.

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Les montagnes cachent tant de merveilleuses légendes !
Photo : Anh Tuân/CVN

C’était il y a fort longtemps, le père d’un jeune bûcheron du nom de Hiêu avait été emporté par un tigre. Depuis lors, l’adolescent aida sa mère à gagner durement de quoi vivre pour ses frères et sœurs. Robuste et courageux, il abattait déjà presque autant de bois qu’un homme, et sa mère, usée avant l’âge, se félicitait d’avoir moins à peiner maintenant. Elle effectuait encore les travaux de couture qu’on lui confiait, mais n’était plus obligée d’aller s’employer chez les autres, pour des besognes plus fatigantes.

Un bienfait…

Un soir d’hiver, alors que Hiêu revint lourdement chargé, il vit une forme humaine étendue sans vie sur le bord du sentier. Il déposa son fardeau et se pencha : c’était un vieillard, qui respirait encore, mais très faiblement. Hiêu le prit sur son dos et le porta dans sa paillote où sa mère et lui procurèrent leurs soins au malade, sans se ménager. Ils eurent la joie de le voir renaître et le gardèrent chez eux pour attendre son rétablissement complet, se privant pour lui, sans jamais penser être payés en retour, d’une quelconque façon.

Un soir, le vieillard dit à Hiêu : "Avant de vous quitter, je veux vous témoigner ma reconnaissance. Tu es inscrit cette année sur le Livre des morts, mais je vais t’indiquer le moyen de te sauver. Fais bien attention à ce que je te dis ! Le premier jour du mois prochain, tu partiras de très bonne heure, en emportant une calebasse de vin et deux tasses. Après avoir traversé la forêt, tu continueras du côté du soleil levant, jusqu’à ce que tu atteignes un lac aux eaux très bleues. Tu grimperas ensuite sur la montagne pour passer à gauche d’une cascade et, non loin du sommet, tu verras deux vieillards en train de jouer aux échecs. Ne fais pas de bruit, tiens-toi près d’eux et, quand ils demanderont à boire, verse-leur de ton vin ! Attends qu’ils aient fini leur partie pour leur adresser ta prière".

Le lendemain matin, Hiêu s’aperçut que son hôte disparût. Le premier jour du mois suivant, bien avant l’aube, Hiêu partit, ses tasses bien enveloppées et sa calebasse suspendue à son dos.

… n’est jamais vain !

Après la forêt, il s’engagea sur un chemin qui lui était inconnu. Le soleil était levé depuis longtemps quand il parvint au lac dont les eaux étaient très bleues. Dans le bois qui couvrait le flanc de la montagne, il entendit des chants d’oiseaux inconnus, qui résonnaient merveilleusement dans l’air étrangement vif et pur. Il s’arrêta pour les écouter, et perçut, dans les intervalles du silence, le bruit d’une cascade au loin. Il se dirigea de ce côté, laissa la cascade à sa droite et se retrouva bientôt à l’orée du bois, devant un admirable paysage de montagnes baignées de lumière.

À l’endroit le mieux situé, sous un large pin, deux vieillards étaient assis, les jambes croisées, sur une table de pierre lisse. Hiêu s’approcha sans bruit et distingua leurs beaux visages éclatants de fraîcheur malgré les rides nombreuses. Ils jouaient en silence, calculant mûrement leurs coups, et chaque fois qu’ils se baissaient un peu pour avancer un pion, la pointe de leur longue barbe blanche effleurait les traits rouges de l’échiquier dessiné sur la pierre.

Hiêu remarquait aussi qu’à côté de chacun d’eux, reposa un gros livre clos. Il attendait immobile depuis un moment quand l’un des vieillards, sans quitter des yeux l’échiquier, commanda, comme à son domestique : à boire ! Hiêu s’empressa de remplir les tasses et les déposa à portée de leurs mains. Ils les vidèrent, toujours absorbés par le jeu. Trois fois, le manège recommença. Enfin, la partie achevée, le vainqueur leva les yeux en premier.

Vue partielle de la belle vallée de Mai Châu, province de Hòa Binh, au Nord.
Photo : Anh Tuân/CVN

Au même moment, Hiêu se prosterna, le front contre le sol, en disant : "Génies bienfaisants, épargnez-moi, par pitié pour ma mère ; elle est vieille et faible ! Accordez-moi encore quelques années, que mes frères soient grands et forts, pour me remplacer auprès d’elle". L’un des vieillards se pencha vers l’autre. Ce dernier ouvrit son livre, prit son pinceau et corrigea un caractère. Puis, il dit à Hiêu : "Tu as réussi à nous faire boire ton vin par surprise. Ce qui vaut bien mieux : tu es un bon fils et tu as sauvé un homme. Aussi ta vie est-elle prolongée jusqu’à l’âge de 100 ans".

Hiêu, toujours prosterné, n’avait pas eu le temps de remercier les génies qu’il sentit un souffle passer sur sa tête. La levant un peu, il s’aperçut qu’il n’y avait plus personne de chaque côté de l’échiquier. Il reprit en courant le chemin du retour. La joie débordait de son cœur, mais il n’osa raconter à personne, pas même à sa mère, ce qui lui était arrivé.

Plus tard, il revint dans la montagne. Il retrouva le lac, puis le bois avec la cascade mais les eaux du lac n’étaient plus aussi bleues, l’air du bois ne retentissait de chants d’oiseaux, et la cascade grondait seule dans le silence. Plus loin, le même pin étendait son ombre sur une pierre rugueuse où Hiêu chercha vainement les traits rouges de l’échiquier des génies.

Sans doute, dans leur bienveillance, les génies avaient décidé de disparaître à jamais pour éviter que Hiêu ne profita d’une nouvelle occasion pour demander encore de prolonger sa vie, plutôt que d’en jouir pleinement jusqu’à 100 ans.


Ông Ngoai/CVN

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