Deux légendes vivantes du folk du Tây Nguyên

Ygông et Bya, un couple d’octogénaires, sont célèbres dans tout le Tây Nguyên (hauts plateaux du Centre) pour leur connaissance de la musique folk locale. Ces deux artistes, d’ethnie Êdê, se sont aimés et ont vaincu l’adversité grâce à la musique.

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Le Parc national de York Dôn, dans la commune de Ear Hua, district de Buôn Dôn, province de Dak Lak, est traversé par le fleuve Sêrêpok. Cette région montagneuse magnifique a été le théâtre d’un amour d’exception, celui d’Ygông et de Bya, d’ethnie Êdê. Un amour conjugal fusionnel où la musique traditionnelle tient une place importante.

Le couple octogénaire Ygông et Bya.

Au crépuscule, retentissent depuis la nhà dài (littéralement «maison longue», lieu de réunion chez les Êdê, une des ethnies minoritaires peuplant le Tây Nguyên) du village de Dôn des airs folkloriques envoûtants. Malgré leur âge, Ygông et Bya interprètent à merveille les airs anciens, en s’accompagnant d’instruments, sans trembler ni de la voix ni des membres. Un climat à la fois intime et enthousiaste règne dans la nhà dài. Cela fait une dizaine d’années que ces deux artistes autodidactes sont invités par la directrice de la compagnie touristique de Thanh Hà à venir travailler pour le site touristique de Buôn Dôn, au sein du village de Dôn. Un travail qui leur plait bien : chanter des airs folkloriques en s’accompagnant d’instruments du Tây Nguyên.

Le chemin du cœur passe par l’ouïe

Au Tây Nguyên, Huynh Bya et B’dap Ygông sont parmi les rares capables de chanter la quasi-totalité des airs folkloriques de la région, de jouer presque tous les instruments traditionnels et même de les fabriquer eux-mêmes. C’est le seul couple dans cette vaste région montagneuse à s’être vu décerner, tous les deux, le titre honorifique d’«Artiste folklorique» de niveau national. Bya s’est prise de passion pour la musique dès son enfance. Douée d’une belle voix, la petite a su très tôt chanter avec brio bon nombre de chansons folkloriques de son ethnie. Ses parents étant décédés jeunes, l’orpheline vivait seule et forçait l’admiration des villageois en raison de son énergie, de son assiduité et aussi de son talent en musique.

À l’adolescence, elle connaissait presque l’entier des chansons folkloriques de sa région. À la fleur de l’âge, Bya était tellement belle que nombre de jeunes du village venaient, chaque soir, devant son logis. «Ils étaient d’ordinaire une dizaine, à chacun sa flûte en bambou avec laquelle ils jouaient tel ou tel air, parfois jusqu’à minuit !», s’amuse-t-elle encore. Mais aucun de ces appels amoureux ne touchèrent le cœur de la belle qui, assise le soir à son métier à tisser, était plongée dans ses brocatelles.

«Mon amour, c’était la musique. J’étais prête à aller dans n’importe quelle localité pour me produire, proche ou lointaine», avoue l’octogénaire. Et puis un jour, ou plutôt une nuit, Ygông décide lui aussi de tenter sa chance. Depuis longtemps, ce jeune costaud timide, voisin de Bya, nourrissait un amour caché pour elle. «Au fond du cœur, j’avais de la compassion pour cette fille orpheline et pauvre», confie-t-il. Il a joué la mélodie «Je t’aime infiniment, et toi ?» et réussi à susciter l’émoi de la belle. Néanmoins, leur amour naissant n’a pas été soutenu par la famille du garçon, car à l’encontre de la coutume matriarcale des Êdê qui veut que la mariée se charge des rites de mariage et que l’époux vienne habiter dans la famille de sa femme. Une chose irréalisable pour la pauvre Bya.

Le pontde bambou traversant le fleuve Sêrêpok, un lieu que Ygông et Bya affectionnaient dans leur jeunesse.

Faisant fis de la coutume ancestrale, Ygông a amené Bya chez lui. Mais, vilipendés pas les villageois, les deux tourtereaux ont dû partir pour reconstruire une vie ailleurs. Sans maison ni terre, ils n’avaient que leur amour l’un pour l’autre, et pour la musique.

Vœu des «rossignols de la montagne»

Ygông et Bya ont mené alors une vie d’errance, allant de villages en villages, dans tout le Tây Nguyên, où ils apprenaient de nouveaux airs folkloriques. Les autochtones se sont pris d’affection pour les deux artistes autodidactes, accueillis à bras ouverts et surnommés gentiment «les rossignols de la montagne». Ils ont glané des centaines d’airs au cours de ces années de pérégrinations, dont plusieurs quasi oubliés. Un vrai travail de collecte. «Nous souhaitons faire revire tous les airs folkloriques anciens», confie Ygông.

Marié depuis plus d’un demi-siècle, Ygông et Bya filent encore le parfait amour. «Nous sommes liés comme les deux mains ou les deux pieds. Encore maintenant, Ygông me manque horriblement chaque fois que je dois m’éloigner, ne serait-ce qu’un jour», avoue Bya. Il leur reste un seul regret : aucun de leurs quatre enfants n’a suivi leurs traces. Pas de chanteurs ni de musiciens parmi eux…

Maintenant, les vieux «folkeux» n’ont qu’un espoir : que les airs folkloriques du Tây Nguyên, qu’ils ont pris soin de compléter et de perpétuer, soient transmis aux jeunes. «À eux de prendre la relève !», conclut Bya.

Nghia Dàn/CVN

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