De rive en sable

Si pendant longtemps le week-end n'était qu'un changement de couleurs des jours sur le calendrier, le Vietnamien découvre aujourd’hui les joies de l'évasion champêtre de fin de semaine et du pique-nique familial !

>>Exode urbain

En voiture, en moto, en vélo, ils sont de plus en plus nombreux à tirer le rideau pour s'adonner au repos dominical. Que ce soit en famille ou entre amis, on sort de la ville pour aller respirer l'air pur de la campagne, profiter des premières journées d'un soleil encore timide, aller visiter des pagodes nichées dans la verdure ou simplement baguenauder au hasard de ses envies. Et, si le temps est vraiment clément, la tentation est trop belle de s'arrêter à l'ombre d'une haie de bambous, à la lisière d'une bananeraie, au bord d'une rivière pour tirer son repas du sac. J'imagine que bientôt, les nappes à carreaux et les paniers d'osier deviendront aussi familières aux buffles de nos campagnes que les canards blancs qui s'y prélassent aujourd'hui.

C'était juste

Pique-niquer ! Cela fait longtemps que j'avais initié ma famille à ce plaisir bucolique, à tel point que c'était devenu la solution parfaite aux contretemps d'une journée de vacances.

Je me souviens de ce jour, à l’aube de ce qui devait être une belle journée, où, avec une autre famille, nous devions aller nous promener en mer, du côté de Hôi An (province centrale de Quang Nam). Hélas, tempête au large, mer trop dangereuse, impossible de se rendre sur l’île ! Il faut trouver une sortie honorable pour ne pas gâcher la joie des enfants.

Et si on organisait une promenade en bateau sur la rivière, avec un pique-nique comme point d’orgue ? Et voilà pourquoi, confortablement installé dans un fauteuil en bois, je laisse mes pensées dériver au fil des rives qui s’étirent lentement. La vie s’écoule au ralenti, au rythme des scènes que nous offre le fleuve. Ne serait-ce la particularité de la végétation et les immenses carrelets, on pourrait se croire en promenade un dimanche matin sur la Marne du côté de Nogent.

Naviguer au fil de l'eau...
Photo : Gérard Bonnafont/CVN

Justement, à propos de carrelets, je trouve que notre bateau s’approche dangereusement d’un de ceux-là, largement déployé au-dessus de l’eau. En me retournant pour alerter le capitaine qui barre notre esquif, j’ai un brusque haut-le-cœur : il a rajeuni de plusieurs dizaines d’années ! Charmé par l’air candide des enfants, notre pacha a confié la barre à celui de 11 ans, et en profite pour… faire un somme.

Je comprends mieux le sillage erratique depuis quelques instants, ce qui me rassure d’autant moins sur la possible trajectoire envisagée pour éviter l’imposant filet de pêche qui se rapproche inexorablement. Bien que fervent adepte de la pédagogie expérimentale, je ne peux m’empêcher de hurler : «Attention carrelet !».

Ce qui a pour effet simultané de réveiller l’ensemble des passagers rêvassant sans se rendre compte que nous risquions de nous transformer en prise de pêche, de faire sortir de son somme le capitaine qui ouvre des yeux hagards devant les immenses rets qui se déploient à la poupe. Et qui, d’un vigoureux coup de barre à droite toute, redresse l’embarcation.

La sueur passée, la vie redevient un long fleuve tranquille où chacun est à sa place : le capitaine à la barre, les enfants dans leurs fauteuils, le bateau au milieu du fleuve…

C'était bon

Cela fait maintenant deux heures que nous naviguons. Il est temps de choisir un endroit pour le pique-nique. J’informe le capitaine que nous souhaitons nous arrêter dans un endroit calme, à l’ombre des arbres. Son sourire serein me rassure. Il connaît les rives comme sa poche, et il va nous dénicher le lieu idéal pour pique-niquer en toute quiétude.

... Et trouver un coin tranquille pour pique-niquer !
Gérard Bonnafont/CVN

Mais ma confiance en ses capacités commence à se transformer en doute, quand je constate que nous laissons progressivement derrière nous la campagne pour rejoindre les zones habitées. Inquiet, je me tourne vers le capitaine en m’enquérant du lieu où il souhaite nous arrêter. Avec un immense sourire, il me désigne un embarcadère qui dessert un hôtel, en me disant que c’est un endroit très joli, et très confortable, avec des chaises et des tables, et des serveurs et pleins de clients de l’hôtel, me dis-je à moi-même !

Je lui précise que pour nous, Occidentaux, pique-nique signifie endroit isolé, sauvage et repas sur le sol. Et que donc, je souhaite ardemment que nous dirigions vers la rive opposée, qui me paraît présenter tous ces avantages. Notre propriétaire, barreur et capitaine, me regarde comme si mon cerveau est atteint des premiers signes de sénilité précoce, et jette un regard interrogatif vers la seule personne dont il puisse espérer du secours en la circonstance : mon épouse.

Mais, au lieu d’y trouver un soutien, il n’en obtient qu’un signe de tête qui signifie à peu près ceci : «Oui, je sais, ils sont bizarres ces étrangers, mais rassurez-vous, ils ne sont pas dangereux !». C’est donc d’un coup de barre à gauche fataliste qu’il amène progressivement notre bateau vers un modeste embarcadère qui se dessine sous une épaisse bambouseraie.

Après avoir débarqué nourriture, boisson et enfants, nous partons à la recherche de l’endroit idéal pour étaler notre nappe à l’ombre d’un ombrage accueillant. Malheureusement, passée la haie qui borde la rivière, seuls quelques rares arbres étriqués émergent d’une terre sableuse, émaillée de quelques épineux.

Après avoir décliné le champ de maïs où mon épouse souhaitait déployer notre table provisoire, nous choisissons un promontoire au bord de l’eau, à l’ombre chiche d’une touffe d’eucalyptus adolescents.

C’est aussi depuis la rive que l’on peut voir une installation complète de carrelet avec la machinerie qui permet de le relever.
Photo : Voyages Filippiens

La vue est belle, le sable est chaud, les provisions suffisantes pour nourrir un petit hameau. Pas un chat, ni un buffle à l’horizon : les enfants peuvent creuser des trous dans le sable, faire des cabanes entre les palétuviers, se faire peur avec les insectes. À défaut d’île déserte, ils ont un petit goût de la vie d’aventure. Sauf que nous sommes au Vietnam, et que «être isolé» est un non-sens. J’aurais dû me méfier !

À peine les sandwichs au pâté entamés, un bateau bus scolaire arrive et débarque une trentaine de jeunes écoliers, chemises blanches et foulards rouges, qui reviennent chez eux pour le repas de midi. Inutile de dire que le spectacle de ces Occidentaux, dont certains ont leur âge, qui mangent à l’endroit où d’habitude les boeufs viennent boire, les intéresse prodigieusement !

En l’espace de quelques secondes, notre salle à manger est envahie par de petits curieux, auxquels par politesse nous offrons des fruits, ce qui contribue certes à renforcer les liens d’amitié entre la France et le Vietnam, mais aussi à diminuer considérablement nos parts de dessert !

Une fois nos nouveaux petits amis partis chez eux pour déjeuner comme des personnes civilisées, nous recevons la visite de vénérables grand-mères. Alertées par la rumeur, elles viennent laver leur vaisselle en lorgnant du côté de ces curieux individus qui, alors qu’ils ont les moyens d’aller manger au restaurant, préfèrent manger dans le sable !

Nous assumons notre rôle de bêtes curieuses. Les enfants sont contents, c’est le principal. Ici, on saucissonne en toute convivialité. Égoïstes, passez votre chemin !

Gérard BONNAFONT/CVN

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