De quoi en rester coi

«Không thê tin duoc !». Cette expression est destinée à souligner un moment d'étonnement, voire de stupéfaction devant une situation ou un événement inattendus. Et il ne se passe guère une semaine sans que je ne l'utilise, seul ou en présence de tiers.

Pour l'immigré que je suis, le quotidien est encore source de surprises et parfois d'incompréhensions, ou pour le moins d'expectatives. Et, heureusement, car c'est en grande partie cela qui fait le sel de ma vie au Vietnam : toujours s'attendre à l'improbable, à l'aune de ma logique occidentale. Petit aperçu de mes dernières incrédulités.

Quelle apparence !

L'autre jour, en roulant à moto sur l'avenue Kim Ma, à Hanoi, je me suis fait doubler par une limousine. Pas une de ces limousines - taxis qui accompagnent les clients de quelques grands hôtels de la capitale, et qui ne sont que de gros 4x4 améliorés, mais bien une de ces limousines que l'on voit dans les films américains. Une voiture immensément longue, à pouvoir y loger une piscine intérieure et un bataillon de top-modèles ! Tel un gigantesque serpent d'ébène, elle a déroulé ses vitres totalement noires, le long de ma moto, tout aussi sombre d'ailleurs. Je me faisais l'effet d'un baleineau suivant sa mère pour essayer de la téter goulûment. À la différence que j'attendais surtout qu'elle ait terminé de me doubler pour pouvoir tourner sur ma gauche. En la voyant disparaître à l'extrémité de l'avenue, je me suis demandé comment un tel engin peut se déplacer dans les rues tortueuses de Hanoi. Et encore mon étonnement n'était rien devant ma stupéfaction, quand quelques jours plus tard j'ai doublé un véhicule plus proche du char d'assaut que de la voiture familiale, dont les pare-chocs, les poignées, les rétroviseurs, la calandre, étaient plaqués or ! Et dans la rue Luong Van Can en plus. Ah, oui ! Pour ceux qui ne l'ignorent, cette rue est la rue des jouets pour enfants à Hanoi. Comme quoi, il n'y a pas d'âge pour faire joujou.

Question d’habileté !

Quelle patience !

Me promenant avec des amis sur le marché de Than Uyên, j'aperçois, assise le long d'un mur, une femme qui patiemment affine avec un couteau de longues tiges de bambou. À ses côtés, s'empilent des tronçons de différentes tailles et différentes épaisseurs. Partant d'un tronc de bambou qu'elle coupe en six dans le sens de la longueur, puis encore en six, pour obtenir de fines languettes qu'elle coupera à nouveau en longueur, elle fabrique des cure-dents. Quel trésor de patience pour, des heures durant, transformer un tronc en minuscules baguettes qui finiront leurs vies entre des molaires creuses et des incisives écartées ! Et je sais de quoi je parle. Un jour, dans un de mes délires anthropo-écologiques, j'ai voulu fabriquer moi-même des cure-dents. J'avais coupé un long morceau de bambou, lors d'une de mes escapades en moto, et installé sur ma terrasse, j'avais commencé à le travailler au corps, avec mon inséparable couteau multi lames. J'avais finalement, après trois heures d'efforts soutenus, obtenu dix kilos de déchets pour une cinquantaine de pathétiques cure-dents, trop fins ou trop gros, une crampe au bras et des ampoules au doigt, plus une ou deux coupures par-ci, par-là.

Quelle habileté !

Sur cette route de montagne, dans un virage, la route est en réfection. Le bitume a disparu pour laisser place à une boue ocre qui colle aux pneus comme de la glue. Sur les côtés, d'imposants tas de gros graviers que des ouvriers s'apprêtent à jeter sur la chaussée pour la rendre plus praticable. Mais, pendant les travaux, la vente continue. Entendez que les voitures, camions et motos, continuent à passer comme si de rien n'était. Nous sommes en minibus. Le chauffeur est déjà engagé dans le virage, roulant à vitesse constante pour éviter de s'enliser, quand surgit devant lui un énorme camion-citerne. Bien entendu, comme c'est toujours le cas au Vietnam, aucun chauffeur ne veut céder. Pas question de priorité au sens montant ou descendant ! Chacun avance, petit contre gigantesque, mufle contre mufle. On se renifle, comme deux chiens qui se découvrent. On se faufile en se tortillant entre boue, gravier et précipice. Le gros pousse le petit. Notre véhicule est embourbé, à deux pas du vide. Je fais descendre tous les passagers. Les cantonniers sont déjà prêts à jeter des graviers sous les roues qui patinent. Le bord est dangereusement proche et instable. Un dernier coup de volant, un dernier coup d'accélérateur, notre minibus est en sécurité. Nous remontons au moment où une autre semi-remorque descend vers nous. Nous passons de justesse ! Ce jour-là, nous croiserons plus de 30 camions, dans des conditions dignes de films d'aventure. Et pourtant, jamais notre chauffeur ne manifestera son inquiétude, son impatience ou son énervement.

Quelle mesure !

J'ai changé notre vieille machine à laver contre une plus performante. Ça, c'est fait comme cela, presque sans réfléchir, un dimanche matin. Une visite chez un commerçant de la rue Diên Biên Phu, et la machine nous est livrée en début d'après-midi. Cette fois-ci, j'avais exigé que les livreurs soient deux. Pas envie de jouer au coolie pour monter l'appareil, aussi ménager soit-il, au deuxième étage. On l'installe dans la salle de bain, à la place de l'ancienne. Qu'elle est belle, quel beau tableau de bord ! Il y a même le sèche-linge intégré. Utile, par les temps qui courent. Et puis, surtout, elle peut contenir plus de linge, car elle est plus grande. Plus grande ? Personne n'a pensé à prendre les mesures. Là où elle est installée, elle empêche la porte de la salle de bain de fermer.

Depuis une semaine, je suis obligé de prendre ma douche dans une salle d'eau, ouverte à tous les vents et à la curiosité de toutes les ménagères de la ruelle qui viennent admirer le bel engin (Je parle du lave-sèche-linge, bien sûr). Étonnant ! J'ai encore réussi à trouver quelque chose à vous raconter cette semaine. À la prochaine !

Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN

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