De la sympathie pour les Noirs

L’homme de culture Huu Ngoc nous présente un récit de Xuân Sach intitulé le Noiraud (publié par Le Vietnam en marche), témoignage du changement dans la mentalité des gens du peuple vis- à-vis des Noirs (suite).

Un bruit de pas se fit entendre derrière lui. Il regarda. C’était Thang, son grand ami, et il pleura encore plus fort. Le soldat enleva son casque et prit le gosse dans ses bras :
- Voyons, qu’est-ce qu’il s’est passé ? Les autres ont été méchants avec toi ?
Ne pleure plus, petit, je vais les gronder. Pour toute réponse, l’enfant secouait la tête. Enfin, il balbutia à travers ses sanglots :
- Ils disent que je ne peux pas faire le soldat populaire parce que je suis un Tây* noir.
Et ses larmes le reprirent. Le soldat sentit battre son cœur. Il coiffa l’enfant de son chapeau et le porta dans des bras. Il traversa avec précaution les barbelés et les tas de briques jonchés de vieilles boites de conserve puis gagna la route.

L'écrivain Xuân Sach.


L’eau des rizières avait des effets aveuglants. Le soleil semblait prendre au couchant un éclat d’or particulier, à la fois sévère et doux. Penché sur l’épaule de Thang, le Noiraud était encore secoué par des hoquets.
Ne sentant plus l’oncle Thang à ses côtés, le Noiraud s’assit et se frotta les yeux. Le soleil brillait déjà. Les hommes de la 8e compagnie faisaient la gymnastique. Il alla dans la pièce du bas remplir une cuvette d’eau qu’il porta péniblement des deux mains. Puis, il courut tirer par la veste tonte Thang qui avait terminé sa culture physique.
- Tonton Thang, je t’ai apporté une cuvette d’eau pour te débarbouiller.
Le soldat le souleva dans ses bras et lui chatouilla le nombril avec son nez pour le faire rire. Puis les hommes se le passèrent de main en main.
- T’es bien mignon, fiston, dit Thang en lui caressant la tête. Mais la prochaine fois inutile de m’apporter de l’eau. Nous autres militaires, nous sommes assez grands pour le faire tout seuls.
Un nouveau nom, une nouvelle vie
Le Noiraud, rayonnant s’en fut dans la cuisine pour tout raconter à sa mère. Il prit sa voix la plus douce pour demander :
- Après manger, je voudrais aller me promener avec les tontons.
Nhiên couvait son fils d’un regard plein de tendresse. Jamais elle ne l’avait observé si longuement et avec tant de plaisir. Ce jour-là, les soldats aidèrent Nhiên à refaire la couverture de chaume du toit. Après le repas de midi, Thang s’attarda à bavarder avec la jeune femme. Histoires de famille, récits de combats, anecdotes de guérilleros sur les arrières de l’ennemi, de fil en aiguille, ils en arrivèrent à parler du Noiraud.
Depuis bien longtemps Nhiên ne s’était sentie aussi émue et aussi gênée. Un renouveau de jeunesse s’éveillait dans son cœur éteint. Elle n’osait lever les yeux vers Thang et serrait le Noiraud contre elle, comme si ce contact allait clamer le tumulte de son cœur.
- Dites donc, Nhiên, fit brusquement Thang, voilà qu’il me vient une idée, je ne sais pas ce que vous en pensez. Vous devriez lui trouver un autre nom à ce petit. Ne l’appelez plus le Noiraud, ça vous rappelle trop de mauvais souvenirs. J’ai d’ailleurs l’impression que lui aussi, il en souffre. La jeune femme baissait la tête. Elle sentait ses oreilles en feu, elle avait l’impression de suffoquer.
- Vous êtes vraiment très gentil avec le petit, répondit-elle après un long soupir, je vous en remercie. Cette question de nom, jusqu’à présent je n’y avais pas pensé. J’ai été si malheureuse…
Elle serrait les dents sans parvenir à réprimer le tremblement de ses lèvres. Une larme coula le long de sa joue et tomba sur la tête du petit. Thang avait touché un point sensible, elle ne put plus se retenir et fondit en larmes. Elle pleurait, heureuse de se sentir comprise, et le Noiraud pleurait avec elle. Le lendemain, le Noiraud annonçait à qui voulait l’entendre :
- À présent, je m’appelle An. C’est mon tonton soldat qui m’a trouvé ce nom.
Il ne cachait pas sa fierté. Surtout quand il fut en face du Tao et du Ty. Il releva le menton et leur jeta d’un air condescendant :
- Faut plus m’appeler le Noiraud. C’est An mon vrai nom.

Des Tây au Vietnam.


Quand le sourire revient
Maintenant qu’il n’est plus le Noiraud, l’enfant de l’adjudant du poste n’a plus à craindre les moqueries de ersonne. Il a un nom lui aussi, tout comme Tao s’appelle Tao, tout comme Ty s’appelle Ty. C’est d’ailleurs bien ce qu’au fond de lui-même, il avait toujours confusément pensé. Et voilà que sa mère vient justement de lui faire un petit costume neuf avec une cotonnade en fleurs et l’oncle Thang lui a acheté un chapeau à large bord, rouge comme une crête de coq. Quand il met son nouveau costume, il en jette plein la vue. Dans la cour de la maison commune, toute la marmaille se presse autour de lui. Et voilà qu’au moment de jouer à la procession traditionnelle, la petite Xuyên dit à tout la bande :
- Faut mettre An devant puisqu’il a de beaux habits. Il fera le doyen du conseil des notables. Ty et Tao porteront le palanquin.
… Peu à peu, les enfants de Phuong Tu ont perdu le souvenir du soldat du Corps expéditionnaire et même celui du poste en ruines dans la cour de la maison commune. Depuis un mois, leurs parents ont aidé l’armée à déblayer ces décombres.
Sur l’ancien emplacement du blockhaus a surgi une école de trois classes, dont le toit de tuiles rutile au soleil.

Huu Ngoc/CVN

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