Climat : le monde sous la menace du "thermomètre mouillé"

Parmi les conséquences dévastatrices du réchauffement, les épisodes caniculaires vont encore s'accentuer, mettant à mal les limites de la résistance humaine à la chaleur, selon un projet de rapport des experts climat de l'ONU (Giec) obtenu par l'AFP.

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Le 21 juin, la température dans la capitale russe a atteint 34,7°C, égalisant le record vieux de 120 ans.
Photo : AFP/VNA/CVN

Plus encore qu'en chaleur absolue, dont les records tombent déjà régulièrement, la capacité à résister à ces extrêmes s'évalue par un concept connu des scientifiques : la "température humide" ou du "thermomètre mouillé", transcrite par le sigle "TW".

Cette mesure prend en compte l'humidité relative ambiante et ses possibilités d'évaporation. Sachant qu'un corps ne peut perdre de chaleur si cette température extérieure TW dépasse la sienne, les scientifiques s'accordent. L'être humain ne peut survivre longtemps à 35 degrés TW.

"Il y a tellement d'humidité dans l'air que la sudation ne permet pas de faire baisser la température excessive. Après une demi-douzaine d'heures, en l'absence de rafraichissement artificiel, cela entraînera des défaillances d'organes et la mort", explique Colin Raymond.

Ce chercheur à la NASA est l'auteur principal d'une étude de mai 2020 identifiant deux sites dans le golfe Persique où les 35°TW ont déjà été atteints. Jusqu'alors, les scientifiques ne pensaient pas observer de tels niveaux avant 2050.

Quelque 300.000 morts

L'Asie du Sud et du Sud-Est, le golfe Persique, le golfe du Mexique, ou des parties du continent africain, sont les régions les plus exposées.

En 2015, deux canicules à environ 30°TW ont fait plus de 4.000 morts en Inde et au Pakistan. Mais le "thermomètre mouillé" était resté juste sous ce seuil pendant la grande canicule qui fit plus de 50.000 morts en Europe à l'été 2003.

Selon l'étude de Colin Raymond, la fréquence de ces pics de chaleur humide a plus que doublé à travers le monde depuis 1979 et les températures "dépasseront régulièrement 35°TW" dans différentes parties du globe si le réchauffement mondial atteint +2,5°C.

L'accord de Paris fixe l'objectif de maintenir ce réchauffement, par rapport à l'ère pré-industrielle, sous les 2°C, si possible 1,5°C. Mais les trajectoires actuelles dépassent largement ces niveaux.

La chaleur excessive fait déjà des ravages, selon deux études récentes.

Selon l'Institut des données et évaluations de santé (IHME) basé à Seattle, environ 300.000 décès en 2019 pouvaient être attribués aux conséquences des canicules, dont un tiers en Inde.

Un thermomètre en vitrine d'une pharmacie affiche la température, lors d'une vague de chaleur à Paris, le 25 juillet 2019.
Photo : AFP/VNA/CVN

Et 37% de ces décès, un peu plus de 110.000, sont liés au réchauffement, selon des chercheurs de la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Les pourcentages d'attribution peuvent monter jusqu'à 60% dans certains pays comme le Brésil, le Pérou, la Colombie, les Philippines, le Koweït ou le Guatemala.

D'après les rapports cités par le Giec, dans un monde à +1,5°C, 14% de la population terrestre sera exposée à des canicules sévères au moins tous les cinq ans, en "augmentation significative".

Un puits dont le niveau d'eau ne cesse de baisser dans le village de Padal, lors d'une nouvelle vague de chaleur dans le Nord de l'Inde, le 2 juin 2019. 
Photo : AFP/VNA/CVN

À +2°C, "1,7 milliard de personnes supplémentaires seront exposées à de fortes chaleurs, 420 millions à des chaleurs extrêmes et environ 65 millions à des canicules exceptionnelles tous les cinq ans".

Les plus touchés seront les habitants des mégapoles tropicales des pays en développement, en Asie et en Afrique notamment.

Afrique fantôme 

"Dans ces régions, la population des villes augmente fortement et la menace de canicules mortelles plane", explique Steffen Lohrey de l'Université de Berlin, principal auteur de l'étude dont sont extraits les chiffres du Giec.

L'Afrique sub-saharienne est particulièrement exposée, mais l'absence de données empêche d'évaluer l'ampleur du problème : la principale base de données mondiale sur les catastrophes naturelles, l'Emergency Events Database (EM-DAT), n'y recense que deux épisodes caniculaires sur les 120 dernières années.

"Les conséquences de ces canicules ne sont pas enregistrées. Comme si elles n'avaient pas existé, alors que nous savons que si" souligne Luke Harrington, post-doctorant à l'université d'Oxford, qui étudie ce déficit d'informations.

À titre de comparaison, l'EM-DAT comptabilise 83 épisodes caniculaires ayant fait plus de 140.000 morts pour le seul continent européen depuis 40 ans.

Autres zones menacées, la Chine centrale et l'ouest de l'Asie, où "les températures extrêmes au thermomètre mouillé devraient approcher et possiblement dépasser les limites physiologiques humaines", alerte le Giec.

L'adaptation face à ces canicules reflète de grandes disparités économiques et sociétales.

Avec des climats et niveaux de richesse comparables, l'Europe affiche des bilans humains plus lourds que l'Amérique du Nord. "Parce qu'en Amérique du Nord tout le monde a la climatisation et des bâtiments modernes et biens isolés, c'est une simple question d'infrastructures", analyse Jeff Stanaway, de l'IHME.

Et dans les pays en développement les populations subissent de plein fouet le décalage entre capacités technologiques et pouvoir d'achat. Une étude sur les populations à faible revenus de la capitale vietnamienne Hanoï a mis en évidence que la mortalité durant les épisodes caniculaires ne baissait pas de façon significative dans les foyers disposant d'un climatiseur. Beaucoup ne pouvaient pas payer l'électricité pour son fonctionnement.


AFP/VNA/CVN

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