Campagne en ville

On dit que l’inspiration vient en dormant. Pour moi, elle vient en marchant. Marcher permet d’attraper au vol les odeurs, les couleurs, les mots que le Vietnam m’octroie sans réserve. Petite promenade dans mon quartier.

>>Cultiver le bonheur…

Après les orages de ces derniers jours, la température est retombée. Se promener en cette fin d’après-midi est un véritable bonheur pour le badaud. En me voyant ouvrir la grille et lui faire signe, ma chienne fait des bonds de joie trop heureuse de pouvoir renifler les traces de ses congénères et d’éventuelles proies qui hantent le quartier. Les poules, chats et autres bestioles jugées utiles pour s’entraîner à la chasse n’ont qu’à bien se tenir ! Un œil sur mon quadrupède familier, prêt à le siffler d’un ton impératif s’il abuse de l’autonomie que je lui confère, je vous emmène flâner, à l’heure où le crépuscule colore de rose le ciel d’été.

Paisibles venelles

J’aime bien mon quartier : la campagne à la ville. Ma ruelle est un hameau en pleine expansion ! Quand je m’y suis installé, il y a à peine deux ans, les maisons s’alignaient sur un seul côté. Serrées les unes contre les autres, elles semblaient engager d’interminables conversations avec les jardinets qui s’étiraient au soleil, de l’autre côté. Un arbre vénérable, capable d’abriter un troupeau de buffles sous son ombrage, montait la garde à l’entrée de notre petite communauté, et à l’autre bout, cachée par quelques bananiers, une grille rouillée permettait de se couper du monde aux heures sombres de la nuit. Parfois, les bruits lointains de la ville parvenaient à se faufiler le long du fleuve Rouge, pour, de ruelles en ruelles, venir frapper à nos portes.

Puis, les tas de briques sont venus prendre possession des lopins de terre. Les maçons ont envahi notre paradis, et ont dressé leur tente entre les bananiers. Les colonnes de bétons et les murs de briques ont caché le soleil. Les jardinets ont été étouffés les uns après les autres.

Aujourd’hui, il ne reste plus que le grand arbre, déjà menacé par des murs qui le regardent de haut, et à l’autre bout, les bananiers, eux-mêmes sur la sellette, si j’en crois les matériaux de construction qui s’amoncellent à leurs pieds. Aujourd’hui, maisons neuves et maisons anciennes se regardent en chiens de faïence. Espérons que leurs propriétaires n’en fassent autant !

La campagne en ville : de légumes ...

Je peux quitter ma ruelle de deux façons : soit du côté où elle se jette dans la rue parallèle à la digue, longue jetée rectiligne de plaques bétonnées, soit en poussant la grille pour arriver sur un sentier qui longe un ancien bras mort du fleuve. J’aime bien, quand je suis à pied, m’aventurer sur cette sente inaccessible aux motos, qui me conduit tout droit au marché du quartier.

Sur ma gauche, les lotus agitent mollement leurs larges feuilles qui protègent les précieuses fleurs. Sur ma droite, des petites maisons, assoupies dans la tranquillité du lieu, laissent apercevoir clapiers et poulaillers que défendent avec force quelques chiens pelés. Un marigot mal entretenu laisse planer une odeur nauséabonde qui n’empêche pas des enfants dépenaillés de jouer aux pirates avec des embarcations de fortune.

Un peu plus loin, des herbes folles ont envahi les fondations d’une maison, à peine commencée, déjà abandonnée. Les derniers mètres, qui me séparent de la placette du marché, défilent entre le mur qui ceinture le comité de quartier et le grillage d’un restaurant… de chien ! Ceci explique pourquoi, j’évite d’emprunter ce chemin bucolique quand je suis avec des amis occidentaux. Que les âmes sensibles se rassurent, la marchandise n’est pas exposée.

Explosion de vie

Comme toutes les places de village, celle où se tient le marché de mon quartier est le lieu de convergence de multiples activités : vendeuses qui étalent à même le sol longanes, mangoustans, jacquier, poires, pommes, raisins, pamplemousses, fruits du dragon et autres fruits selon les saisons ; rôtisseurs de canards laqués ou de brochettes de porcs qui installent au soir tombant leurs barbecues fumant en offrant à l’appétit des passants des odeurs alléchantes ; vendeuses de «pho» qui touillent leurs marmites en attendant les gourmands ; «xe-ôm» (mototaxi) qui guettent le client, repérant d’un œil avisé celui qui semble chercher son chemin.

Si ma ruelle est un hameau dans la campagne, la place du marché est une ville dans le hameau ! On s’y bouscule, on s’y admoneste, on s’y interpelle, on s’y dispute. Parfois, quand l’entente cordiale entre camions, voitures, motos, vélos, piétons se transforme en bouchon, le commissariat qui jouxte la place délègue quelques policiers pour dissoudre l’importun.

Assis sur un petit tabouret de plastique, dégustant mon «trà đá» (thé au glaçon) au milieu des buveurs de «bia hoi» (bière pression), je pourrais rester des heures à contempler ce clochemer le vietnamien, plein de vie et de bonne humeur. Mais il faut rentrer.

... aux bananiers.

Je m’engouffre dans la rue agitée qui conduit de la grande avenue aux rives du fleuve. Y marcher, c’est en fait entreprendre un ballet incessant avec les motos, vélos et voitures, pour éviter de se faire renverser ou bousculer. Pas question d’hésiter, il faut esquiver avec agilité, tout en gardant l’œil rivé sur son objectif. Le mien, en l’occurrence, est de pouvoir atteindre la première rue à droite, qui me ramènera chez moi. C’est avec plaisir que je laisse la cohue pour m’y engager. Droite comme un I, elle s’étire entre deux rangées de maisonnettes et d’échoppes, et semblent attirer la vie de toutes les ruelles qui viennent se jeter sur ses dalles.

Avant d’arriver à la mienne, j’ai le temps de passer devant un tailleur qui coupe, coud et taille, assis en tailleur devant sa machine à coudre. Plus loin, un petit bistrot laisse s’échapper des flots de musique disco qui a quelques difficultés à se caler sur le rythme de la scie électrique de l’atelier d’à-côté. Juste après le laveur de motos qui arrose, d’une eau mousseuse, rue et passants, je vois mon arbre gardien qui pointe ses feuilles au-dessus des tuiles. Me voilà de retour dans mon hameau !

Nez au vent, devant ma chienne nez à terre, je reviens, chargé d’une moisson de sensations qu’il me faut bien vite coucher sur le papier pour une prochaine tranche de vie !

Gérard BONNAFONT/CVN

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