Avec le COVID-19, Marseille au bord de la crise humanitaire

Avec ses terrasses en sommeil, le cours Julien, haut-lieu de la vie festive marseillaise, n'est plus que l'ombre de lui-même. Noga y est le seul "restaurant" ouvert : chaque midi, il distribue 900 repas gratuits, deux fois plus qu'avant la crise sanitaire.

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Des gens patientent pour récupérer de la nourriture, au Noga, un restaurant social de Marseille, le 10 décembre.
Photo : AFP/VNA/CVN

Dans l'une des villes les plus pauvres et les plus inégalitaires de France, certains comme le Secours Catholique n'hésitent plus à parler de crise humanitaire.
Depuis le deuxième confinement, mis en place fin octobre, Gérard Gros, président de la Banque alimentaire des Bouches-du-Rhône, constate "un très grand élargissement de la population dans le besoin". Les chiffres sont colossaux : chaque semaine, l'association distribue près de 85 tonnes de nourriture, à Noga notamment.
Et comme un symbole, l'ONG Action contre la faim s'est implantée à Marseille en avril, pendant le premier confinement. "Action contre la faim, je les voyais à Haïti, pas à Marseille", commente Francis Vernède, de l'Uriopss, un réseau qui accompagne les associations de la solidarité et la santé dans la région.
"Nouveaux publics" 
Assis sur un rebord du "cours Ju" avec un café et un repas qu'il vient de récupérer chez Noga, Youssef Madoui s'en sortait avant la pandémie en trouvant des chantiers à la journée au "black".
"C'est très difficile de trouver un travail déclaré et depuis trois mois, je ne travaille plus du tout", confie aujourd'hui cet Algérien, en France depuis 20 ans.
Artiste de rue, Sten Augustin, lui, s'en tirait avec son spectacle de bulles de savon. Il récoltait 30 à 40 euros par jour au chapeau, l'été davantage. "Maintenant, je n'ai plus rien", raconte cet Allemand de 50 ans qui n'a plus les moyens de prendre son fils avec lui le samedi 12 décembre.
"On a de nouveaux publics, des travailleurs pauvres, saisonniers, intérimaires, ceux qui ont une très faible capacité d'épargne. Avant ils s'en sortaient toujours avec l'économie informelle : garde d'enfant, aider au marché, plonge", analyse Francis Vernède.
La fermeture des restaurants, décidée à Marseille plus tôt que dans le reste de la France, a amplifié le phénomène. Car dans cette ville portuaire et d'immigration, "il y a une très grosse solidarité, chaque commerçant va aider, donner quelque chose", témoigne Pascal Boulgarian, cuisinier au restaurant social Noga.
Avec les restaurants clos, c'est autant de boissons chaudes, de portions de frites et de repas distribués en moins.
"Course de fond" 
La crise sanitaire a aussi paralysé des vies comme celles d'Isabelle ou Falrat.

À 62 ans, victime de violences, la sexagénaire, qui préfère taire son nom de famille, a quitté le domicile conjugal et espérait rebondir. Mais "avec le COVID, c'est compliqué de trouver du travail et de faire valoir ses droits", déplore-t-elle à la porte de Noga.
Dans son studio du quartier populaire de Noailles, à quelques encablures du Vieux-Port, Falrat, lui, est seul pour s'occuper de son fils handicapé. Sa femme est restée bloquée en Algérie.
"J'arrive pas, j'arrive plus", souffle-t-il en remuant son café : "S'il n'y avait pas le petit, je trouverais un travail, ouvrier agricole, n'importe quoi".

Des bénévoles préparent des paquets de nourriture qui seront distribués à des personnes dans le besoin au Noga, le 10 décembre.
Photo : AFP/VNA/CVN

Les associations font aussi remonter les difficultés majeures de nombreux retraités, d'étudiants ou même d'ex-détenus, comme D., contraint de dormir sur les marches du parc Longchamp après avoir été libéré brusquement pendant le premier confinement.
"C'est une course de fond", reconnaît Marie-Christine Gillot, directrice de Maavar Marseille, l'Association d'hébergement et de réinsertion qui pilote Noga.
Les équipes sociales commencent à être fatiguées, sur les nerfs. Et beaucoup s'interrogent sur la méthode employée.
Une troisième vague ? 
"L'assistanat alimentaire est remis en cause, il faut agir autrement. Pas forcément faire toujours plus, mais comprendre la pauvreté d'abord, comment elle se manifeste pour trouver la réponse", plaide Laurent Ciarabelli, du Secours catholique-Caritas.
Le collectif Alerte Paca, qui regroupe une vingtaine d'associations d'aide aux plus démunis dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, réclame un observatoire social pour objectiver la situation.
Les dernières données de l'Insee datent de 2017 et font état d'un taux de pauvreté de 26% à Marseille, grimpant jusqu'à 53% dans le quartier de la Belle de Mai, une des zones les plus défavorisées de France.
"Il faut identifier les besoins, les nouveaux précaires, ceux qui sont sur le fil. C'est comme si tout était redescendu d'un cran", analyse Axelle Cuny, coordinatrice terrain chez Action contre la faim à Marseille.
Tous les observateurs craignent une troisième vague de pauvreté dans les mois à venir.
Dans les quartiers pauvres du nord de la ville, le "McDo" de Saint-Barthélémy, au cœur d'une lutte sociale et judiciaire il y a quelques mois opposant ses salariés à leur patron, a été transformé par des collectifs citoyens en plateforme solidaire. Depuis peu, on y voit venir de quartiers huppés une mère célibataire ou un chef d'entreprise en faillite.
En fin de mois, certains attendent leur colis alimentaire dès l'aube.
Salim Grabsi, du syndicat des quartiers populaires de Marseille, s'inquiète et craint les violences qui pourraient naître de cette crise : "Jamais je n'aurais pensé qu'on en arriverait à cette situation en France. Par moments, on a l'impression d'être dans un pays sous-développé".

AFP/VNA/CVN

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