À presque 90 ans, Duong Tuong traduit le Kiêu en anglais

Duong Tuong a traduit une soixantaine d’œuvres littéraires de différentes langues en vietnamien, les plus remarquables étant Autant en emporte le vent, Anna Karénine, Lolita… En 2019-2020, le nonagénaire a traduit le Kiêu en anglais, une manière de "payer la dette de la vie à la poésie".

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Couverture du livre "Kiêu in Duong Tuong’s version", publié en 2020.

Né en 1932 à Nam Dinh (Nord), Duong Tuong - de son vrai nom Trân Duong Tuong - est à la fois écrivain, poète, critique d’art et surtout un grand traducteur. Il a traduit une soixantaine d’œuvres littéraires de grands auteurs français, russes, anglais, américains, allemands, grecs, brésiliens, japonais et norvégiens. Les plus remarquables sont Autant en emporte le vent, Anna Karénine, Lolita, Lettre d’une inconnue, etc.

En 2020, le nonagénaire a fait publier le poème vietnamien de 3.254 vers Kim Vân Kiêu ou Truyên Kiêu (Histoire de Kiêu), un chef-d’œuvre composé au début du XIXe siècle par Nguyên Du (1765-1820), qu’il a traduit en anglais pendant deux ans, sous le titre Kiêu in Duong Tuong’s version (Kiêu dans la version de Duong Tuong). Un nouvel ouvrage du grand traducteur, et peut-être son dernier projet de travail compte tenu de son grand âge, pour rendre hommage non seulement au grand poète à l’occasion du 200e anniversaire de sa mort, mais aussi à la poésie en général, comme il l’a avoué. "Je considère ce livre comme un bâton d’encens offert à Nguyên Du, et aussi un produit pour témoigner de ma reconnaissance envers la langue vietnamienne. En plus d’un demi-siècle de traduction, j’ai porté à la connaissance des lecteurs vietnamiens de nombreux chefs-d’œuvre littéraires du monde. Ma vie a été nourrie par le vietnamien, il est maintenant temps pour moi de lui payer une dette de reconnaissance".

Le traducteur prend des libertés

En effet, Kiêu n’est pas simplement une traduction, mais plutôt une reprise. Le nonagénaire s’est inspiré du Truyên Kiêu de Nguyên Du afin de raconter cette histoire à sa façon. C’est pour cette raison qu’il est indiqué "dans la version de Duong Tuong" sur la couverture du livre. Le grand traducteur a pris quelques libertés avec le texte original pour faire une rédaction toute personnelle.

Pourquoi cette grande œuvre à cet âge ? "Ce roman-poème m’a accompagné durant toute ma vie. Quand j’étais enfant, je vivais avec une tante. Bien qu’analphabète, elle pouvait réciter sans hésitation tous les vers du +Truyên Kiêu+ en me berçant sur ses genoux, à tel point que je sais par cœur ce fameux poème. Au crépuscule de ma vie, j’ai décidé de travailler sur ce chef-d’œuvre pour en faire un point final de ma carrière", a-t-il expliqué.

En tant que grand traducteur, Duong Tuong a toujours choisi des œuvres qu’il juge "assez difficiles". Mais le Truyên Kiêu est pour lui beaucoup plus compliqué à traduire, ce poème ayant été écrit en sino-vietnamien nôm, composé de 3.254 vers en luc bát, une forme poétique traditionnelle vietnamienne qui consiste en une versification alternée entre des vers de 6 et des vers de 8 pieds (syllabes). Un pari un peu "trop audacieux" pour ce chef-d’œuvre en ancienne écriture du Vietnam, a-t-il reconnu.

Mais, la fortune sourit aux audacieux. En raison de son grand âge, ses yeux ne voient plus clair. Mauvaise vue mais bonne mémoire. "Je ne peux plus consulter de dictionnaires ni de documents. Je n’ai pu compter que sur ma mémoire", a-t-il raconté. Ainsi, Kiêu dans la version de Duong Tuong n’a pas été réalisée à partir du texte original, mais de ce que l’auteur en connaît de mémoire. Ce n’est pas en lisant mais en fermant les yeux que l’inspiration lui venait. "Parfois, je pensais que je ne pourrais pas continuer parce que ma santé s’est beaucoup dégradée, je ne pouvais rien voir. Confus, j’avais peur de devoir renoncer à mon projet. Je fermais mes yeux et me rassurais : +Ce n’est pas la fin du monde+. Et puis, j’ai rouvert mes yeux, miraculeusement, la lumière m’est revenue", a-t-il partagé.

En fait, en ces deux année-là, Duong Tuong a dû se faire injecter un médicament tonique directement dans les yeux plusieurs dizaines de fois.

"C’est une expérience merveilleuse !", a-t-il souri.

Un lien avec les jeunes générations

Fruit de deux années de travail persévérant, Kiêu in Duong Tuong’s version est peut-être la dernière œuvre de sa vie. "Il ne me reste pas beaucoup de temps mais j’ai pu apprécier chaque moment de ce dernier projet. J’avais de petites joies lors de la traduction de +Kiêu+. Par exemple, un après-midi, j’étais heureux de dire à ma fille : +Aujourd’hui est un jour très significatif pour moi ! Je viens de terminer la traduction du 1.000e vers de +Kiêu+. Mes joies sont tellement simples", a confié le nonagénaire.

Le grand traducteur Duong Tuong (gauche) et son cher confrère Pham Anh Tuân.

Duong Tuong considère qu’il a pu conquérir "le mont Everest" de sa vie. "Quand j’ai terminé le 3.254e vers, le dernier, j’étais si heureux que j’ai appelé mon ami - le traducteur Pham Toàn - qui m’avait toujours encouragé et accompagné tout au long de ma traduction. Mon ami est décédé plus tard, il n’a pas pu voir mon livre publié". Le grand traducteur doit aussi son succès à d’autres lettrés qui l’ont aidé à réaliser son dernier rêve. Pham Xuân Nguyên, journaliste et critique littéraire, le soutenait en corrigeant l’orthographe.

Chaque fois que Duong Tuong finissait une strophe, il l’envoyait à des amis, fins connaisseurs du poème de Nguyên Du. Parmi eux, l’écrivain Nguyên Ngoc, qui est fortement impressionné par ce livre : "L’ouvrage n’est pas une simple traduction mais une vraie œuvre créative. Duong Tuong a créé un nouveau monde, très vivant'. L’écrivain souligne notamment qu’effectuer un travail si colossal à l’âge de 87-88 ans est la preuve que son talent est le fait du destin, en référence à la philosophie défendue par Nguyên Du dans l’Histoire de Kiêu.

Le traducteur Pham Anh Tuân remarque également les qualités d’auteur chez Duong Tuong dans cet ouvrage : "C’est un homme érudit, qu’importe le travail qu’il a réalisé durant sa vie. Comme on peut devenir fumeur en regardant les autres fumer, Duong Tuong s’est essayé, lui aussi, à l’écriture après avoir lu et traduit toute sa vie les pages de grands auteurs. Il a alors voulu présenter Nguyên Du à Shakespeare".

En plus d’exprimer sa reconnaissance envers un des plus grands poètes vietnamiens, Duong Tuong a aussi réalisé son probablement dernier projet pour les jeunes générations, afin de redonner un peu plus vie à un chef-d’œuvre du patrimoine littéraire national.

Texte et photos : Mai Quynh/CVN

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