À boire et à manger

Faire la fête n’est pas réservé aux grands événements. Un simple repas entre amis peut se transformer en joyeux moment festif dont il convient de respecter les rituels. Surtout au Vietnam.

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Une retrouvaille entre jeunes amis dans un restaurant à Hanoï. Et la prononciation à haute voix "Môt, hai, ba, zô !" est indispensable.
Photo : CTV/CVN

En France, l’invitation d’amis à domicile est chose courante, sans autre prétexte que le plaisir de se retrouver ensemble autour d’une bonne table, d’un barbecue, ou d’un cassoulet maison. Et la politesse veut que l’invitation soit rendue, ce qui, au fil de l’an, nous fait voyager d’une demeure amicale à une autre, transportant de façon aléatoire la bouteille de bon vin, les entrées ou le dessert. La convivialité est domestique, réservée aux copains, potes ou intimes. Public s’abstenir.

Au Vietnam, il m’a fallu me rendre à l’évidence : en famille chez soi, entre amis à l’extérieur. Ici, on s’invite au restaurant, la liesse et la truculence y sont visibles par tous. On ne se cache pas pour exprimer le bonheur d’être avec des personnes que l’on estime. Ainsi, il n’est pas rare de se retrouver dans la même salle qu’une bande de joyeux compères, collègues de travail ou camarades de longue date peu soucieux de notre confort auditif ou de notre besoin d’intimité.

À votre santé !

Avec le temps, on finit par s’habituer aux éructations tonitruantes, aux éclats de rire qui jaillissent en tempête, rebondissent contre les murs pour venir troubler notre conversation à voix basse. On finit par ne plus sursauter aux hurlements des rites à boire qui ponctuent un repas joyeusement arrosé. Rites qu’il faut comprendre pour en apprécier la saveur.

Les convives sont attablés, la commande est passée. Tandis que l’on s’active en cuisine pour satisfaire les appétits, la boisson est déjà sur la table… ou dans la caissette aux pieds de la table. C’est tellement plus facile pour faire le décompte des litres de bière ingurgitée : il suffit de compter le nombre de bouteilles pleines qui restent dans une caissette, et de le soustraire du nombre initial que contenait la caissette. Ceci dit, l’unité de base de la caissette étant de 24 bouteilles, il arrive qu’une seule ne suffise pas.

On assiste ainsi à un empilement de caissettes qui donne à la tablée un air d’arrière-boutique de débit de boisson. Ce système de comptabilité alcoolique est sans doute très pratique, mais j’imagine mal en France l’empilement de caisses de Hautes Côtes de Beaune ou de Puligny-Montrachet, à côté d’une table dans une salle de restaurant, fût-il étoilé.

Dans un restaurant, non content de se retrouver avec des amis chers, les Vietnamiens veulent partager aussi la joie aux autres personnes présentes.
Photo : CTV/CVN

Pour l’heure, nos joyeux compères se préparent à stimuler leurs papilles. Les capsules sautent ou se dévissent, selon qu’il s’agisse de bière ou d’alcool, les verres se remplissent, et partent à la rencontre les uns des autres pour des chocs amicaux.

C’est alors que retentit la première incantation du repas : "Chúc suc khoe !". Ce qui, en d’autres lieux, pourrait se traduire par "Prosit !" ou "Santé !". La coutume veut que ce souhait soit formulé de façon suffisamment forte pour que l’on y accorde toute son importance. La coutume veut aussi que chacun le formule à chacun. Donc, si vous réunissez cinq amis autour d’un repas, ce sont 20 "Chúc suc khoe !", accompagnés de 10 entrechocs plus ou moins cristallins, qui annoncent le début des festivités. L’ambiance s’installe. Mais ce n’est pas fini...

En votre honneur !

Une autre coutume est de porter régulièrement des toasts pendant le repas. Tout est occasion : célébrer les mérites d’un collègue, complimenter un supérieur hiérarchique, se remémorer un bon souvenir avec les amis, remercier pour l’invitation, montrer sa joie de se trouver en bonne compagnie, etc.

Si le "Chúc suc khoe !" est la majuscule du repas, le toast en est la ponctuation. Mais porter un toast nécessite d’en respecter les usages. L’auteur du toast se lève et prononce une courte allocution à la fin de laquelle tous les compagnons de bombance se lèvent à leur tour.

Alors s’élève dans les airs le fameux "Môt, hai, ba, zô !" (littéralement : "Un, deux, trois, maintenant !"), l’équivalant de ce qui ressemble à un cri de guerre en français : "Un, deux, trois, cul sec !". Il s’agit, en effet, pour l’ensemble des partenaires, de vider leur verre d’un seul coup : "Tram phân tram" comme on dit aussi "100%".

En début du repas, l’exercice s’inscrit encore dans les règles du savoir-vivre avec les autres clients du restaurant. Mais au fil du temps, l’effet des "culs secs" avalés transforment les voix en une espèce de bouillie pâteuse, en même temps qu’ils en élèvent le niveau sonore. Les allocutions sont écourtées, parfois même totalement éludées, et ne subsiste que le "Môt, hai, ba, zô !", bramé de voix de stentors et dont les verres claqués rudement sur la table scandent le tempo.

Au Vietnam, on préfère s’inviter au restaurant, la liesse y est visible par tous.
Photo : CTV/CVN

Inutile de dire que lorsqu’une salle de restaurant regroupe plusieurs tables d’amis, toute conversation normale devient impossible pour ceux qui sont entrés par erreur, pensant trouver un endroit calme pour un dîner ou un déjeuner en toute intimité. Parfois, des visiteurs me font part de leur étonnement en constatant que dans de nombreux restaurants, il existe des salles à manger privées, les salles VIP. Une fois passée l’épreuve de la salle commune, ils en comprennent l’importance et la nécessité.

D’autant plus que le Vietnamien en fête est généreux. Non content de se retrouver avec des amis chers, il entend faire partager sa joie aux autres personnes présentes, surtout si elles sont étrangères, au propre comme au figuré. Combien de fois ai-je été surpris par des mains brusquement posées sur mes épaules alors que j’honorai le menu local. Une fois vérifié mentalement que je n’avais commis aucun délit et que ce n’était pas des mains coercitives qui s’abattaient du mois, force m’était de constater que ces mains étaient les prémices d’une invitation au "Môt, hai, ba, zô !" de la table voisine.

N’ayant aucune appétence pour l’alcool sous quelque forme soit-il, je m’en suis toujours sorti en déléguant l’un de mes compagnons de table. Et si c’est un repas en tête à tête, dont mon compagnon est une compagne ? Dans ce cas, j’utilise toujours le salon VIP.

Allez "Môt, hai , ba , zô !", et à la prochaine fois !


Gérard Bonnafont/CVN

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