1973, le Têt de la Paix au Nord Vietnam

Il y a de cela un demi-siècle. Difficile pour nos jeunes générations d’imaginer la joie que leurs aînés ont ressenti à l’annonce de la fin de la guerre. Eux qui ont vécu une décennie d’attaques aériennes américaines, et les bombardements de B-52 de décembre 1972.

Officiers, soldats, et habitants, heureux comme jamais de fêter ce Têt traditionnel 1973.
Photo : CTV/CVN

Hanoi s’était vidée. N’y restaient que des soldats avec leurs systèmes de Défense contre les avions (DCA), et les fonctionnaires des services de première nécessité. Le sơ tán (évacuation vers la campagne et la région montagneuse) était rigoureux. Les membres de la même famille vivaient en général séparés les uns des autres : le père ou la mère travaillait dans les services évacués dans des endroits différents, et les enfants étaient confiés aux grands-parents installés chez des paysans.

Dans les centres urbains, jour et nuit, la sirène ne cessait de retentir et les haut-parleurs de scander : «Allo, allo ! Les avions ennemis sont à 30 km… 20 km… 10 km… de la ville !» Souvent en pleine nuit, réveillés en sursaut, au lieu de courir vers l’abri souterrain creusé dans chaque maison, on n’avait que le temps de se jeter sous le lit, de peur que le toit s’effondre.

Jusqu’au début 1973, au Nord Vietnam, l’aviation américaine a bombardé 4.000 des 6.000 communes, six villes principales, 29 chefs-lieux de provinces, et détruit 400 établissements industriels.

Les Accords de Paris et la paix retrouvée

Après dix années de cauchemar collectif, on ne pouvait imaginer que Washington négocierait la paix pour de bon. Les pourparlers de Paris traînaient depuis des lustres. Et voilà que les Accords furent signés le 27 janvier 1973, juste avant le Têt traditionnel.

L’historien David Marr, auteur du substantiel ouvrage Vietnam 1945, a fait une remarque judicieuse au sujet de l’impact psychologique des grands événements nationaux. Chaque citoyen garde dans sa mémoire le souvenir de ce moment comme s’il s’agissait d’un événement personnel parce qu’il était à la fois acteur et auteur de l’histoire.

Pour les Américains, Marr a cité à ce sujet, le bombardement japonais de Pearl Harbour en 1941 et l’assassinat de Kennedy en 1963. Pour le Vietnam, il a indiqué la Révolution de 1945 qui avait mis un terme à la domination coloniale.

On pourrait y ajouter le Têt de la paix 1973 au Nord Vietnam, pour les habitants qui ont aujourd’hui dépassé le cap de la soixantaine.

L’artiste George Burchett remarque à ce sujet que son père, le célèbre journaliste australien engagé Wilfred Burchett, «avait le talent d’intégrer les expériences personnelles de gens ordinaires à des grands événements politiques ayant une signification historique énorme».

George m’a communiqué le reportage de son père sur l’atmosphère de Hanoi au Têt de 1973 (in Rebel Journalism). Voici quelques extraits de cet article traduit de l’anglais :

À l’aéroport civil de Gia Lâm, à Hanoi, il y avait des gros trous aux murs, les toits s’étaient effondrés, et des fenêtres avaient été enlevées, mais des amis que je pensais peut-être morts lors des «bombardements Kissinger» étaient là pour m’accueillir avec des fleurs. En cours de route vers la capitale vietnamienne, notre auto a dû ralentir à cause d’une curieuse procession de voitures : des camions de militaires, des charrettes à cheval ou à bœuf, ou poussées par des personnes de tout âge, et surchargées de lits, d’armoires, de chaises, de meubles appartenant manifestement à des familles modestes, avec des vieillards et des enfants assis dessus ou affalés dedans.

Se frayant un chemin dans ce désordre imposant, hommes et femmes pédalaient, ils avaient souvent un enfant assis dans un panier, accroché au guidon ou sur le porte-bagages de la bicyclette.

Hanoi se relevant des ruines

Ce fut le Grand Retour à Hanoi… Gia Lâm, faubourg industriel, et sur l’autre rive du fleuve Rouge, un tas de débris. Le grand atelier de réparation des chemins de fer avait été réduit en pièces, et les toits affaissés jonchaient sur des carcasses rouillées de wagons calcinés.

Le premier jour du Nouvel An lunaire 1973, les ouvriers de Hanoi se sont lancés dans les travaux de réparation du pont de Long Biên, gravement détruit lors des bombardements américains de décembre 1972.

Dans les rues, les trottoirs étaient encombrés d’ordures et dans les maisons encore debout, les déchets dégageaient une odeur puante. Notre voiture est passée en sursautant sur plusieurs pontons construits à la va-vite. Le pont de Long Biên avait perdu l’une de ses arches dans les profondeurs du fleuve, elle était en train d’être remplacée par une en acier, flambant neuve.

Nous sommes entrés dans la cité proprement dite. Elle était animée, vivante et propre, ce qui contrastait étrangement avec le spectacle de désolation que l’on avait pu observer le long de la route venant de l’aéroport.

Je suis arrivé à Hanoi la veille du Têt de la Paix, un Nouvel An lunaire pas comme les autres qui restera gravé dans la mémoire des habitants. (…)

Le matin après mon arrivée, même s’il était encore très tôt, les rues qui bordaient le Marché central étaient bondées et habillées de fleurs, surtout de branches de pêcher, et de clémentines couleur or, pendant comme des lanternes. Pas de doute, c’était le Têt. Je n’avais jamais vu autant de fleurs et de marchandises de toutes sortes. Il y avait même des poissons rouges nageant dans des globes de verre de toutes dimensions, des fleurs et des dragons en papier, des guirlandes de pétards, tout étincelait et donnait la foi. Les étals du marché étaient remplis de fruits et légumes, de gâteaux banh chung et de confiseries du Têt vietnamien.

La foule s’emplissait tellement qu’il était impossible de circuler en vélo. Beaucoup de jeunes gens, garçons et filles, portaient l’uniforme vert olive et le casque en liège de l’armée, camouflé avec des feuilles. Mais il y avait aussi des milliers de familles qui venaient de se retrouver, des enfants penchés sur les épaules de leurs parents, des visages rayonnants.

Le temps des bonnes nouvelles

Tout à coup des sons de tambour et de cymbales prirent par surprise la foule, qui s’écarta pour laisser s’avancer un camion orné de banderoles rouges, et occupé par des jeunes gens qui agitaient les journaux de l’édition spéciale du matin.

Les gros titres annonçaient en rouge que les Accords de paix avaient été signés.

D’autres camions le suivaient lentement en s’arrêtant de temps en temps, des centaines de mains s’arrachaient le journal, les clients s’arrêtaient juste quelques minutes pour lire et relire la bonne nouvelle (…)

Dans les rues, les mêmes haut-parleurs qui, huit années durant, annonçaient l’arrivée de la mort et les destructions, claironnaient cette fois les clauses du traité et leur objet, chaque pause étant marquée par des chansons révolutionnaires. (…)

Les trois jours du Têt ne furent que réjouissances et festivités, alors que les Vietnamiens continuaient de rentrer par centaines. Ce Nouvel An lunaire retrouvant sans conteste son intérêt, longtemps laissé de côté : se réunir en famille. Ils ne pouvaient rêver meilleur cadeau que ces Accords de paix de Paris pour le Têt.

Toutefois, seul le Nord Vietnam avait le cœur à la fête. Le Vietnam du Sud a dû attendre encore deux années pour pouvoir célébrer son Têt de la paix».

Huu Ngoc/CVN

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