Sans fards sous les projecteurs

Sans doute lassés des modèles stéréotypés dans lesquels ils évoluent au long de l'année, de nombreux Occidentaux viennent au Vietnam pour trouver une différence, LA différence. Oui, mais du rêve à la réalité, il y a parfois des pas à ne pas franchir.

>>S’il te plaît, dessine-moi un Pho !

>>Échappée belle !

>>Marche impossible

>>Histoire de dire…

>>Un Français épris du Vietnam

Des rencontres authentiques.

«Dis, on pourra aller chez les minorités ethniques ?» En posant cette question, à laquelle j'acquiesçais, l'ami qui m'avait invité chez lui lors d'un de mes voyages en France, ne savait pas ce à quoi il s'engageait. Six mois plus tard, je l'accueillais, avec son épouse, à l’aéroport international de Nôi Bài à Hanoï. Je n'ai eu aucun mal à le repérer, parmi la foule de touristes harassés rejetés sur le plancher des vaches après douze heures de contention dans des sièges trop étroits.

Chapeau de brousse, veste reporter en toile, pantalons multi poches, brodequins de marche : Indiana Jones débarque. Il faudra que je lui explique que la jungle ne couvre qu'une partie du pays, et que nous n'allons pas au cœur de la forêt amazonienne pour rencontrer des peuplades encore inconnues.

À travers le miroir

Après avoir promené mon aventurier quelques jours à Hanoï, nous prenons la route des montagnes pour aller à la rencontre des habitants, dont certains vivent encore en respectant leurs coutumes ancestrales. Nous quittons la ville au petit matin et laissons progressivement derrière nous les faubourgs, les zones industrielles et les quartiers nouveaux qui sortent de terre comme des champignons pour arriver aux premiers contreforts montagnards du Nord. Je sens l'impatience chez mes invités : «Quand est-ce qu'on les verra ?» J'ai l'impression d'être Christophe Colomb sur sa caravelle, pressé par un équipage avide d'arriver au port.

Patientez, mes amis ! Il faudra attendre demain pour entrer dans les régions où vivent les Thai, H’Mông et Dzao. Mais peut-être, pourrons nous en rencontrer quelques-uns aujourd'hui. Tenez, justement, regardez, là sur le bord de la route, les deux femmes qui cheminent : des Thai reconnaissables à leurs grands jupes noires, leur large ceinture vert clair et leur chemise bleu ciel.

Un enfant H'Mông dans le Nord-Ouest.

À ma description répond un long gémissement de déception. Fatigué par le voyage, mon ami explorateur somnolait et comme la vitesse de notre voiture est supérieure à celle qui lui permet de revenir au seuil de vigilance, les femmes ont déjà disparu derrière nous, masquées par un virage, et donc de Thai point il ne voit. Il sollicite un arrêt pour attendre que ces éléments précurseurs d'une minorité ethnique puissent nous rejoindre afin qu'il immortalise sur pellicule SA première rencontre avec de tant attendus authentiques autochtones (prononcer ces derniers mots à voix haute en articulant : excellent pour muscler la face et lutter contre les rides).

Je modère son zèle anthropologique en soulignant que d'une part, il pourra prendre autant de photos qu'il le souhaite dans les heures et les jours à venir, et que d'autre part, la meilleure prise de contact n'est sans doute pas de surgir comme un diable d'un véhicule, en intimidant les gens avec un objectif. Acquiescement du bout des lèvres et grognements indistincts me laissent à penser que mon ami accepte de ronger son frein… dans l'immédiat. D'ailleurs, il peut se rattraper quelques heures plus tard quand nous arrivons à notre ville-étape du jour. Il en tremble presque de pouvoir capturer autant d'images de Thai aux fichus à carreaux et de H’Môngs aux robes fleuries et aux chapeaux à breloques.

Il jubile, flashe, zoome, panoramique. Il est enfin dans son Vietnam authentique ! Il se soucie peu que son 1m90 et son énorme bedaine étonnent les habitants, suscitent des sourires amusés chez les femmes et effraie les enfants. Je le laisse à sa joie, car je sais de quoi demain sera fait.

Faut pas rêver !

Au petit déjeuner, c'est un gaillard revigoré qui me rejoint. «J'ai une faim de loup ! Qu'est-ce qu'on mange ?» «Un phở bò ! Autrement dit, une soupe avec de la viande de boeuf !» «Euh ! Il n'y aurait pas autre chose ? Pain grillé, beurre, confiture, œufs brouillés, fromage blanc,…?» «Ah, non, là tu te trompes de minorité ethnique ! Faudrait plutôt aller du côté d'une des belles provinces de France. Ici, l'authentique, c'est le phở !»

C'est maintenant un gaillard un peu moins faraud qui exerce ses papilles à apprécier matinalement épices et viande. L'épreuve accomplie, nous reprenons la route pour nous enfoncer plus avant dans ses territoires où, comme dirait Dumas, la main de l'homme n'a jamais mis les pieds. Enfin, quand je parle de l'homme, je parle ici de l'homo turisticus. Après quelques kilomètres, j'aperçois un petit village sur pilotis, à l'orée de la jungle. Hurlements de joie, quand je propose d'y aller rendre visite.

Caméscope les précédant, mon ami et sa femme me suivent sur le sentier pierreux qui descend vers le village en contrebas. Nous atteignons une petite rivière qu'il faut traverser à gué en mouillant nos chaussures. Cris de plaisir de mes découvreurs amateurs. Mettre les pieds dans une rivière dégouttante, polluée par les déjections animales et humaines, ça, c'est authentique ! Si je ne leur fais pas laver les pieds à l'eau claire de retour à la voiture, les champignons qu'ils récolteront entre les orteils seront aussi authentiques !

Les rizières en terrasses dorées dans la région Nord-Ouest offrent une vue merveilleuse.

Comme d'habitude, après le premier moment de stupéfaction devant un Tây (Occidental) qui parle leur langue, les villageois nous invitent à pénétrer chez eux, pour partager un peu d'eau chaude et faire la causette. C'est l'extase pour mon ami quand il pénètre, enfin, au cœur de la vie de ces minorités ethniques, tellement… vraies. C'est avec un immense sourire qu'il accepte l'invitation à boire une tasse d'eau chaude. Après la première gorgée qu'il a le bon réflexe d'avaler, il se tourne vers moi : «Mais, c'est de l'eau chaude !» «Oui, c'est bien ce que j'ai dit : nous allons boire de l'eau chaude !». «Mais, je croyais que c'était une façon de parler du thé !». «Non, ici l'eau chaude, c'est... authentique !»

Je vous fais grâce de l'affaissement progressif de mon ami au fur et à mesure qu'il découvre l'authenticité de la vie des minorités ethniques : la cuisine sur le foyer au milieu de la salle commune, la nuit sur une natte, à peine séparée des buffles et des cochons, par un mince plancher en latte de bambous, la toilette au coin du puits.

Le lendemain, je lui demande s'il est satisfait de sa rencontre avec les minorités ethniques. D'une voix faible, il me répond que oui, mais que peut-être lorsqu’on ira faire un tour sur la baie de Ha Long (province de Quang Ninh, Nord), on pourra aller dans un hôtel 4 étoiles. Il est vrai que je lui avais proposé de passer la nuit sur une pêcherie flottante, histoire de vivre l'authenticité. Authentique : qui est vrai, sans artifice. C'est beau, mais ça se mérite.


Gérard Bonnafont/CVN

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