On ne va pas couper les cheveux en quatre

Quand le temps est clément, j’aime m’asseoir sur un banc de pierre auprès du lac Hoàn Kiêm. Bercé par le souffle du vent qui chatouille les feuilles des flamboyants, je laisse vagabonder mes pensées, pour mieux laisser mon regard suivre le spectacle qui m’est offert.

>>Vraiment pas rasoir

Dans cette humanité joyeuse qui défile devant mes yeux, ce qui continue à m’émerveiller, malgré mes nombreuses années de vie dans ce pays, c’est l’élégance et la prestance des femmes vietnamiennes. Fières et droites, elles me donnent le sentiment d’être nées pour être princesses. Quel que soit leur âge, elles ont ce port altier de la tête qui, rehaussant leurs épaules, fait paraître bien mièvres les mannequins de haute couture ! Et même si l’âge extrême pèse sur leurs dos en les courbant vers la terre qui les appelle, elles conservent cette grâce qui inspire le respect.

Les longs cheveux des Vietnamiennes ne cesseront jamais de faire rêver.

Des cheveux à en tomber

Mais ce qui donne son élégance à la femme vietnamienne, c’est, sans nul doute, sa chevelure. Si, souvent, pour évoquer une abondante toison capillaire, on parle de crinière, ici le mot me paraît trop trivial. Je lui préfère le mot rivière d’ébène, qui rend plus vraie la fluidité gracile de cette coiffure qui orne la plupart des têtes des Vietnamiennes.

L’Histoire nous dit que sous l’influence du confucianisme, les Vietnamiens n’avaient pas le droit de se couper les cheveux. Si les hommes ont perdu l’habitude de les rouler en chignon sur la nuque pour adopter des coupes plus courtes, les femmes perpétuent cette tradition.

Autrefois, il existait plusieurs façons de coiffer : les jeunes filles et les femmes du Nord enroulaient leur cheveux dans une bande de velours marron, puis disposaient le tout autour de la tête, en laissant dépasser une petite queue. Les femmes du Centre et du Sud se faisaient un chignon sur la nuque, alors que les jeunes filles laissaient librement cascader leur chevelure sur les épaules. C’est d’ailleurs cette dernière façon de se coiffer qui donne à la Vietnamienne son allure libre et décidée. Même si elle est peu pratique par les jours de grands vents !

Curieux comme je suis, je n’ai pu m’empêcher d’explorer de vieux traités d’anthropologie pour tenter de comprendre pourquoi la Nature avait si bien doté les Vietnamiens, et plus particulièrement les Vietnamiennes sur le plan capillaire, alors que je n’ai eu en héritage de mon arrière-grand père gascon que la calvitie occidentale, et de mon arrière grand-mère vietnamienne que la fameuse tache mongoloïde.

Et, sans vouloir couper les cheveux en quatre, en fouillant dans les grimoires et autres ouvrages «scientifiques» du début du siècle dernier, j’en ai appris de bien belles ! Par exemple, que chez l’Européen, les cheveux mesurent de 16 à 20 mm à la naissance, alors que chez le Vietnamien, les cheveux sont de 20 à 25 mm à la naissance. Donc, déjà, les dés sont pipés dès le début, puisque je pars avec un handicap. Mais, pire : j’apprends également que les cheveux vietnamiens sont plus épais que ceux des Européens (100 à 120µ, contre 80µ). Avantage encore au Vietnamien, qui a besoin de moins de cheveux pour couvrir son chef (160/cm² contre 180/cm²).

Vous comprenez, maintenant, pourquoi c’est à la fois avec admiration et amertume que j’évoque ce magnifique déploiement capillaire de la femme vietnamienne et que je reste songeur quant à l’abnégation dont ont dû faire preuve les chercheurs de l’époque qui ont comptabilisé un à un les cheveux au centième carré. Il s’en est fallu d’un cheveu qu’ils ne se trompassent !

Tiré par les cheveux

Même la longueur des cheveux de la femme vietnamienne a donné lieu à des règles esthétiques. Si le Vietnamien dit que «les femmes seront d’autant plus heureuses que leurs cheveux sont plus fins et se rapprochent le plus du sol», les chercheurs ont réussi à mettre en équation cette singularité féminine, en estimant que le rapport longueur/taille est en moyenne de 0,70 (ce qui suffit largement pour courir le risque de se marcher sur les cheveux) et que le rapport 1 est plutôt rare. Il y aurait donc si peu de femmes heureuses au Vietnam. Ça, je ne peux pas le croire ! Surtout quand je vois le sourire éclatant et les yeux pétillants sous ses cascades couleur nuit.

Exubérantes et pleines de vie quand elles flottent librement au vent, les chevelures féminines deviennent romantiques quand, au crépuscule, elles sont soigneusement lissées, imprégnées de l’eau du fleuve qui servit à les laver. Quand, la tête penchée sur le côté, jeunes filles ou femmes reproduisent, en gestes lents et graciles, ce que faisaient leurs grand-mères pour démêler un à un leurs longs cheveux, cape humide sur leur épaule dénudée, c’est toute une mystérieuse séduction qui fait vibrer l’âme de l’importun spectateur !

Combien je souris, en voyant déjà ma fille imiter sa mère, quand, à grand coup de brosse et de peigne, elle cherche à discipliner des cheveux déjà longs et vigoureux. Elle a déjà ce mouvement de la tête qui consiste, par un mouvement sec de rotation, à faire basculer tous ses cheveux du même côté, pour mieux les coiffer. Combien je grimace, quand je vois ces adolescentes qui, pour ressembler à des modèles étrangers, se teignent en rouge ou en jaune des cheveux qui n’en peuvent mais... Combien j’aimerais leur dire que les canons de la beauté ne sont pas universels, et que la standardisation esthétique est bien proche de la fadeur.

Je vous en supplie, belles vietnamiennes, gardez cette merveilleuse chevelure qui a fait rêver et fait encore rêver ceux qui n’ont que 80µ à se mettre sur la tête. Ne galvaudez pas votre beauté pour le mirage de stars en papier glacé. Restez vous-même et ne devenez pas des produits de consommation !

C’est à tout cela que je pense, au bord du lac Hoàn Kiêm, sans me faire de cheveux.

Texte : Gérard BONNAFONT/CVN

Photos : Hung Tiên

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