Les chasseurs de… moustiques

Capturer des moustiques est une activité inconnue, même au Vietnam, où les risques d’une épidémie de paludisme subsistent. Un travail d’orfèvre dévolu aux scientifiques de l’Institut de paludologie, parasitologie et entomologie de Hanoi.

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Un groupe de scientifiques spécialisés en chimie expérimentale de l’Institut de paludologie, parasitologie et entomologie (IPPE) se rend régulièrement dans des régions montagneuses situées à 1.000 m d’altitude et plus. Lors de ces voyages, loin d’être des promenades de santé, ils sont chargés d’une mission spéciale : chasser des… moustiques. L’étude de cet insecte diptère est nécessaire pour un important projet de recherche mené sur le long terme par l’IPPE, intitulé «Prévention et lutte contre le paludisme». Une tâche rendue pour le moins insolite par la technique de capture des moustiques.

Travail nocturne et ardu

Un matin d’été, à bord d’un 4x4, quatre scientifiques de l’IPPE quittent Hanoi. Direction le village de Trung Hung, commune de Quyêt Chiên, district de Tân Lac, province de Hoà Binh. Après une centaine de kilomètres parcourus sur un chemin raboteux, le groupe descend enfin de voiture dans le village des Muong (l’une des ethnies minoritaires montagnardes du Vietnam) où l’IPPE a installé une station permanente. Dans une maison sur pilotis érigée au bout du village, trois autres membres de l’IPPE font la cuisine. Le dîner se déroule dans une ambiance joyeuse, mais ne s’éternise pas. Il fait déjà nuit noire. La chasse aux moustiques peut débuter.

Capturer des moustiques dans l'étable de boeufs.

Sept personnes, dont deux femmes - Yên et Hôi - se préparent à partir en mission. Tous s’équipent d’un cache-nez, d’une torche électrique et de tubes en verre (pour enfermer les insectes). Les femmes, qui participent pour la première fois à la mission, reçoivent chacune un paletot en nylon. «Cela vous protégera du froid et des piqûres», explique l’agrégé en médecine Lê Trung Kiên, chef du groupe. Et d’ordonner : «Allons-y !». Il est neuf heures du soir. Le sentier forestier qu’ils empruntent est boueux, à la suite de la pluie matinale. Le groupe doit traverser un ruisseau. À la lumière des torches électriques, tous s’avancent prudemment pendant un quart d’heure, avant de se diviser et de partir dans deux directions différentes.

Le premier groupe se compose de deux hommes qui ont pour tâche de capturer des moustiques piquant l’être humain. Ils doivent ainsi rester silencieux, bras et jambes découverts, pour appâter les moustiques. Le second groupe se charge d’attraper des moustiques se nourrissant du sang des bovidés. Ils se dirigent vers des étables construites dans la forêt pour capturer des moustiques déjà rassasiés, posés sur le plafond de l’écurie.

Classifier les espèces de moustiques.

En tout cas, les chasseurs s’exposent au risque d’être contaminés par le paludisme. Qu’importe. L’essentiel est de capturer le plus possible de spécimens vivants pour que l’IPPE puissent les étudier. Le but étant d’éradiquer, au moyen de vaccins et de remèdes, le paludisme au niveau national et mondial.

Dans une étable assez basse, Yên se tient courbée, les yeux rivés au plafond, une torche électrique dans sa main gauche et un tube en verre de 20 cm de long et 2 cm de diamètre dans sa main droite. Un moustique gorgé de sang, immobile, tombe dans le tube. Yên y insère une boule de coton, en attrape un autre, puis bouche le tube. Elle répète ce mouvement, jusqu’à minuit. Une centaine de tubes, contenant chacun deux insectes, a été remplie. «Allez, on rentre ! Nous avons capturé deux cents spécimens. J’espère que les autres en ont capturé cent. C’est suffisant pour cette nuit», déclare le chef du groupe Lê Trung Kiên.

Le travail nocturne n’est pas pour autant terminé. De retour au village, les membres de l’équipe préparent un verre d’eau sucrée, dans lequel ils trempent des boules de coton qu’ils disposent ensuite sur les tubes de verre. «L’eau sucrée est l’aliment préféré des moustiques», explique Kiên. L’extinction des feux a lieu vers 03h00 du matin. Tous se plongent dans un sommeil réparateur, mais qui ne dure que trois heures. Une nouvelle journée de travail commence, à 06h00.

Il s’agit d’identifier les genres de moustiques et de les tester avec une substance chimique pour connaître la sensibilité de chacun. À 09h00, le groupe part pour une autre mission : pulvériser de l’insecticide dans des villages environnants.

Les jeunes insectes sont alors transférés vers le laboratoire à proprement parlé, au service des recherches spécialisées.

Insémination artificielle des moustiques

Nombre de moustiques n’ayant pas été testés sur place sont aussi ramenés au laboratoire, à Hanoi, où on les fait se reproduire. Les insectes sont nourris dans des cages dont les conditions environnementales sont similaires à leur milieu naturel. Mais le laboratoire doit tout de même recourir à l’insémination artificielle. Une technique qui demande de la minutie, confiée à des biologistes expérimentés. À l’aide d’un tube contenant de l’éther, Duyên, 26 ans, qui travaille depuis cinq ans dans le laboratoire, attrape deux moustiques, un mâle et une femelle. Ils sont endormis pour quelques secondes. Avec habilité, elle les fait s’accoupler, avant de les remettre dans leur cage. Elle répète l’exercice avec une dizaine de couples durant la matinée.

Des dizaines de bassins remplis de larves, réparties selon leur âge, sont disposés dans une salle spéciale. S’en occuper est un travail qui demande de la méticulosité. Les biologistes leur donne à manger (de la farine de blé mélangée avec du soja et des crevettes, qu’ils préparent eux-mêmes), surveillent leur développement quotidien et s’assure qu’ils supportent bien les changements de climat.

Arrivées à un certain stade, les larves sont transférées vers un autre bassin, où les scientifiques s’en occupent différemment, jusqu’à ce qu’elles deviennent moustiques. Les jeunes insectes sont alors transférés vers le laboratoire à proprement parlé, au service des recherches spécialisées.

«Tous les pays, et bien sûr le Vietnam, font actuellement face à un problème de taille : la résistance des anophèles aux antibiotiques. La situation complique la tâche de l’IPPE qui participe activement au Programme d’éradication du paludisme, déployé conjointement par le Vietnam et l’Organisation mondiale de santé», conclut Lê Trung Kiên.

Nghia Dàn/CVN

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