Le Kruôz Cé, chant funèbre des H’mông de Sa Pa

Les H’mông de Sa Pa possèdent un riche patrimoine folklorique. Le chant funèbre Kruôz Cé est transmis de génération en génération par voie orale. Il montre au mort le chemin menant au monde des ancêtres où il doit séjourner.

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Cérémonie funèbre chez les H’mông.
Photo: CTV/CVN

La station d’altitude de Sa Pa, centre de tourisme et de villégiature à 1.500 m au-dessus du niveau de la mer, est bien connue des voyageurs étrangers. Elle est située dans le district montagnard du même nom de la  province frontalière de Lào Cai (Nord), qui rassemble sur son territoire sept groupes ethniques: H’mông, Dao, Kinh (Vietnamiens majoritaires), Tày, Xá Phó, Giáy et Hoa (d’origine chinoise).

Les H’mông se divisent en quatre branches qui se distinguent par leurs costumes et, en particulier, par les motifs qui décorent leurs vêtements: les Muong Lênh (les premiers venus et les plus nombreux), les H’mông Puôk, les H’mông Noirs et les H’mông Blancs.

Trois âmes

Les H’mông de Sa Pa ne recherchent que les hautes crêtes pour s’établir possède un riche patrimoine folklorique. À titre d’exemple, on peut citer le Kruôz Cé, chant funèbre auquel le chercheur H’mông Giàng Seo Gà a consacré une étude intéressante (Éditions Van hóa dân tôc, Hanoï, 2004).

D’après les H’mông, l’être humain a trois âmes. La première, âme souche substantielle et corporelle, donne la vie à l’individu. Après le décès, le mort va habiter au monde des ancêtres au Ciel, mais cette âme est toujours liée aux vivants, à la famille à laquelle elle peut accorder protection et biens, ou lui faire du mal si cette âme ne bénéficie pas d’un culte convenable.

La deuxième âme, anti-corporelle après la mort de l’individu, réside dans un autre monde situé au milieu du Ciel. Elle cherche par tous les moyens à léser le corps du mort, elle incite la troisième âme à se réincarner pour lui permettre d’errer où elle veut.

Une femme H’mông tisse des brocarts. 
Photo : DL/CVN

La troisième âme, compagne de la première, a le devoir de protéger le tombeau contre les bêtes et les personnes mauvaises. Quand l’herbe recouvrant le tombeau aura poussé drue, elle reviendra au monde des vivants pour se réincarner dans un être humain ou un animal, selon que le mort menait une vie de vertu ou de vice.

Parmi les cérémonies funéraires, la plus importante est celle de Kruôz Cé, qui montre au mort le chemin menant au monde des ancêtres où il doit séjourner. Les familles pauvres ne la célèbrent qu’au cours de l’enterrement.

Le Kruôz Cé, en langue H’mông pure, est transmis de génération en génération par voie orale. Ainsi, il y a des variantes inévitables, mais le contenu reste le même pour toutes les branches H’mông. Ce chant sacré, récité par le sorcier avec accompagnement de khèn (flûte de Pan) et de tambour, obéit à des règles rigides. On ne doit pas l’enseigner et l’appendre quand la famille n’est pas frappée par le deuil ou quelque autre malheur. On le fait dans un endroit caché, une grotte ou une case à l’écart.

Pendant que le sorcier le dit, les auditeurs doivent rester éveillés de peur que leur propre âme ne se détache d’elles pour suivre l’âme du mort.

Une trentaine de chants

Le Kruôz Cé comporte en général une trentaine de chants. Chacun commence avec le vers "En cet instant, Ciel et Terre sombrent dans les ténèbres glaciales" et se termine par le même leitmotiv: "Ô mort qui marche sur du velours et de la soie!".

En premier lieu, il est important de vérifier plusieurs fois si le mort est vraiment mort:

En cet instant, Ciel et Terre sombrent dans les ténèbres glaciales,
Es-tu mort pour de vrai, ou pour faire rire?
Si c’est pour faire rire, lève-toi!
Lève-toi et prends la charrue pour défricher la colline, de quoi nourrir tes enfants et petits-enfants.
Lève-toi et prends la pioche pour creuser la pente et planter, de quoi vêtir tes enfants et petits-enfants.
Ô mort qui marche sur du velours et de la soie!

(Chant 2)

En cet instant, Ciel et Terre sombrent dans les ténèbres glaciales,
Tu es mort pour de vrai ou pour faire rire, - pour de vrai?
Tu ne peux plus revenir à notre monde.
Tu ne peux plus revivre la vie des hommes.
Te voilà devenu fantôme, ô mort!
Tourne ton visage vers les fantômes de tes ancêtres.
Écoute-moi te chanter trente-trois vieilles histoires.
Tu sauras alors la voie de ton aïeul, le chemin de ton aïeule.
Ô mort qui marche sur du velours et de la soie!

(Chant 3)

Le Kruôz Cé raconte la vie dure et saine des montagnards qui cultivent le maïs et façonnent des rizières en terrasse, leur solidarité face aux catastrophes naturelles. Il retrace l’histoire de la création de l’univers, histoire baignant dans le merveilleux. Dame Chài et sieur Chài ont créé le monde. Dame Chài a rétréci la terre, causant des plissements (hauteurs irrégulières, vallées, fleuves, mers), lesquels se reflètent dans les plis de jupe féminine.

Deux dignitaires au cœur impur, Chê Tù et Tù Chê Bu, ont battu à mort Rainette, la bête innocente ayant jeté une malédiction sur le genre humain: "Hommes, une fois morts, vous ne pourrez plus vous réincarner dans votre monde comme auparavant". Tel fut notre péché originel.

Il y a encore l’histoire des astres. Neuf soleils et huit lunes incendiaient de leurs rayons la Terre. Pour mettre fin à une sécheresse fatale, Giàng Dua et Giàng Du tuèrent avec leurs arbalètes huit soleils et sept lunes. Soleil Cadet et Lune Cadette ne sortirent plus, plongeant ainsi la Terre dans le noir. Le Coq réussit à les persuader d’apparaître pour redonner lumière et vie au monde humain. Les coupables involontaires - Giàng Dua et Giàng Du - furent emprisonnés à perpétuité pour leur méfait involontaire. Ils ne pouvaient sortir qu’aux jours fastes pour prendre un bain et changer de vêtements, causant ainsi des éclipses de soleil et de lune.

Les paroles du Kruôz Cé sont des vers libres, dotés de rimes et de rythmes libres, ce qui donne une diversité musicale relevée par le khèn et les tambours…


Huu Ngoc/CVN
(Octobre 2005)

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