Interruption momentanée

Une semaine de plus, et toujours une chaleur à dessécher un cactus. 38° à midi. C’est l’heure de mon choc culturel préféré : la sieste.

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Ce mot me paraissait tellement incongru dans mon vocabulaire occidental, il y a encore quelques années. Pour ma culture judéo-chrétienne, où je dois gagner mon pain à la sueur de mon front, la sieste est perçue comme un temps inutile, un temps volé au temps de travail. Faire la sieste, c’est faire montre de paresse. Au plus, pouvais-je être conforté dans cette pratique hérétique par l’alibi de la sieste éclair, prôné par quelques sommités médicales, donnant pour exemple les hyperactifs de ce monde qui s’octroient quelques minutes, voire secondes, de sommeil post-prandial (mot technique pour dire : après les repas). Et puis, je suis arrivé ici.

Bonne sieste

Je me souviens de mon installation au Vietnam. J’avais loué une vaste maison dans un petit village, à une trentaine de kilomètres de Hanoi. Histoire de m’imbiber pleinement de la vie, de la culture, des coutumes, de la langue de mon pays d’adoption.

Ayant laissé de larges pans de ma vie à l’extrême Ouest du continent eurasiatique, j’étais seul, et mon ami Tuân m’avait fortement conseillé d’embaucher quelqu’un pour gérer le quotidien domestique. Par souci de réputation et par solidarité familiale, c’est un de ses cousins qui se présente le jour de mon installation. Très vite, il prend possession de la cuisine, et en l’espace de quelques minutes, d’appétissantes odeurs flottent dans l’air. À l’heure dite, par l’intermédiaire d’un gong de circonstance, il me convoque séance tenante à vérifier que la promesse olfactive est tenue. Le repas est aussi succulent que je pouvais m’y attendre, et tout autant cordial. Jusque là, je retrouve à peu près mes marques…

La surprise vient quand, à peine le dernier morceau de mangue avalé, mon convive m’intime l’ordre d’aller prendre ma douche et d’aller me coucher. Je tente de lui expliquer que je ne me sens ni sale, ni fatigué. Qu’à cela ne tienne. Il fait chaud (nous étions en juillet), et c’est l’heure de la sieste. C’est comme ça que l’on fait au Vietnam.

Sous-entendu, si tu ne t’exécutes pas, tu donneras l’image d’un gros dégoûtant et d’un imbécile qui ne comprend pas que par les chaleurs méridiennes, il est stupide de vouloir s’échiner à exercer une quelconque activité.

J’obtempère donc pour, après une rapide douche fraîche, tomber dans les bras de Morphée (qui, comme son nom ne l’indique pas, est le dieu du rêve). Bras desquels je me suis extirpé, plus d’une heure plus tard. Dès ce jour, j’ai rejoint le nombre impressionnant de sectateurs de la sieste méridienne. Et j’évoque bien ici la vraie sieste, allongé, au frais, avec un vrai sommeil, à en ronfler comme une forge. Celle qui contribue largement à une qualité et une douceur de vie.

Sieste au choix

Mais ici, la sieste socialement officialisée n’est pas intangible. Elle se conjugue en plusieurs temps.

Il y a tout d’abord la sieste récupératrice, qui s’effectue là où on se trouve quand il est l’heure d’y sacrifier. On voit ainsi des marchands dormir sous leurs étals, des xe ôm (mototaxis) s’assoupir, allongés sur la selle de leur moto, des commerçants s’endormir dans leur boutique, des conducteurs d’engins de chantiers dormir dans un hamac installé entre volant et leviers.

Pour les rares personnes qui se promènent à cette heure-là (le plus souvent d’inconscients étrangers, bouteilles d’eau à la main), le Vietnam donne l’impression d’être le pays de la Belle au bois dormant. Et comme on n’a pas encore découvert la princesse à embrasser, chaque jour, le sortilège frappe entre 12h00 et 14h00.

On trouve ensuite la sieste organisationnelle. Entendez par là qu’elle fait partie de l’organisation du travail ! Dans les bureaux, dans les usines, on étale des nattes sur le sol, on enlève les chaussures, on replie un tissu sous la tête, et vogue la galère au pays des rêves. Tout cela se faisant, bien entendu, en chœur, sans culpabilité aucune. Quand j’ai l’occasion de m’aventurer dans ces endroits à l’heure de la sieste méridienne, je ne peux m’empêcher de sourire en pensant aux dortoirs de nos enfants en colonies de vacances. Mais là, pas de surveillance pour obliger les gens à se reposer. On y dort vraiment de bon cœur.

Il y a encore la sieste nomade. C’est celle que l’on accomplit dans les nombreux café-hamacs, qui ponctuent les deux grandes routes Nord-Sud : la Mandarine et la piste Hô Chi Minh. Qu’elle longe le littoral ou qu’elle traverse les hauts plateaux du Centre, chacune offre aux passants des havres de fraîcheurs et de repos, sous forme d’estaminets de fortune autour desquels sont installés des dizaines de hamacs. Là, après avoir bu l’inévitable trà đá (thé au glaçon) ou cà phê đen (café noir), le voyageur replonge dans le sommeil de son enfance, bercé par le lent va-et-vient de son filet.

Il y a aussi la sieste amicale, celle que l’on vous propose quand vous êtes invité chez des amis ou en famille. En Occident, il est impensable que l’on se voit ouvrir la chambre à coucher après le repas pour faire une petite sieste. Ici, quoi de plus normal que d’aller s’allonger de concert, soit sur une natte, soit sur un grand lit, pour partager un moment de grande camaraderie ensommeillée. La première fois, ça surprend, mais ensuite, ça devient aussi naturel que le petit tour dans le quartier, après les repas dominicaux dans mon pays de naissance.

Sur une moto ou dans un hamac, la sieste est incontournable au Vietnam.

Je n’oublie pas non plus la sieste familiale. Celle où toute la famille se retrouve côte à côte dans la fraîcheur d’une chambre climatisée ou sous les pales du ventilateur. Moment précieux d’intimité que j’ai découvert ici, et que pour rien au monde je ne voudrais abandonner. Moments merveilleux où parents et enfants respirent à l’unisson, bulle de complicité où les rêves s’entremêlent pour tisser les plus belles histoires d’amour.

Et enfin, je sens que vous attendez la dernière, celle que l’on appelle la sieste crapuleuse. N’en déplaise aux obsédés, elle relève plutôt du mythe. En effet, après le repas, et quoi qu’on ait mangé, on s’assoupit, on n’y peut rien, c’est comme ça et pas autrement. Surtout quand il fait chaud (relire le début de l’article), c’est métaboliquement démontré : les chances de s’endormir sont donc bien plus grandes que celles de s’envoler au 7e ciel. Tout au plus, peut-on parler de sieste bienheureuse.

Bon, je vous laisse, c’est l’heure de la régénération familiale !

Gérard BONNAFONT/CVN

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