Il n’y a pas d’heure pour les braves

Même si depuis que je vis au Vietnam, j’ai appris à conserver mon calme en toute circonstance, il y a des jours... ou plutôt des matins où ma sérénité est sérieusement mise à mal.

J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire : originellement, l’Occidental nomade privilégierait l’indivi-dualisme pour conquérir des territoires toujours plus vastes afin de faire paître ses animaux, alors que l’agriculteur vietnamien sédentaire favoriserait la solidarité pour maintenir ses terres en état de produire de fructueuses récoltes. Et qui dit solidarité, dit vivre ensemble… Et pour vivre ensemble, il faut savoir supporter l’autre. Pas toujours simple !

À 05h30 dimanche : on dort en bas, on travaille en haut !

Il y a quelqu’un ?

À 05h30, ce dimanche matin. Je dors du sommeil du juste. Soudain, mes rêves sont troublés par un bruit de pas dans l’escalier ! Qu’est-ce ? Un voleur attardé, qui n’a pas encore compris que la meilleure heure pour s’introduire clandestinement dans une maison, c’est entre 03h00 et 04h00 du matin, quand le biorythme des occupants légitimes est au plus bas ? Un amoureux transi venu rendre visite à ma belle-sœur, mais qui lui aussi aurait loupé l’heure à laquelle les amants quittent les lieux ? (Celle-là, je ne vous la dévoilerai pas ! Je ne vais tout de même pas encourager les turpitudes ancillaires). Qu’importe, malandrin ou séducteur, personne n’a le droit d’être indûment dans ma maison le dimanche matin à 05h30, s’il n’est pas expressément répertorié sur les documents remis au commissariat du quartier lors de notre installation !

Bien décidé à expulser manu militari l’indésirable, je saisis la première arme qui me tombe sous la main, à savoir la version intégrale des Entretiens de Confucius, remède idéal pour trouver facilement le sommeil le soir. Je me précipite hors le cocon de la chambre conjugale pour me trouver nez à nez avec… mon propriétaire qui s’apprêtait à rentrer dans la dite chambre ! J’hésite un bref instant entre le douloureux constat d’être l’infortuné acteur d’un vaudeville, dans lequel ma femme et mon propriétaire joueraient les rôles-titres, et la non moins douloureuse supposition que mon propriétaire ne soit devenu amnésique et confonde son logis avec le mien.

Mais entrez donc !

L’alternative s’efface vite devant le sourire de mon «chủ nhà» (propriétaire) et sa demande pour le moins surprenante à cette heure matutinale : «Bonjour, je viens chercher la clef de la terrasse». Je suis abasourdi ! Qu’est-ce qu’il veut faire de la clef de ma terrasse à cette heure-là ? Confucius manque m’en tomber des mains. Un bruit derrière moi. C’est mon épouse qui apporte la clef, en s’excusant de ne pas l’avoir laissé sur la table du salon comme convenu...

Comme convenu quoi ? Et pourquoi ma femme demande-t-elle à ma belle sœur d’accompagner le propriétaire sur la terrasse ? Et d’abord, pourquoi tout le monde est-il levé à l’heure où le coq vient à peine de pousser ses premiers cocoricos ?

Je dois rêver. Vite, me pincer pour me réveiller ! Ma femme sent que ma sérénité vietnamienne est en cours d’effondrement au profit d’un accès d’énervement occidental. D’un geste paisible, elle me prend par le bras et en quelques mots qu’elle suppose rassurants, elle m’explique la situation : le propriétaire doit construire un toit au-dessus de notre terrasse qui commence à manifester des signes de porosité face aux trombes d’eau qui de temps à autre obscurcissent le ciel. Mais avant, il doit venir prier le Génie de la Maison, pour que tout se passe bien et que le toit nous protège efficacement à l’avenir !

Qu’est-ce que vous voulez dire à ça ? Contre le Génie de la Maison, je suis impuissant. Il n’empêche ! Je considère qu’il manifeste un sans-gêne absolu à vouloir être honoré à des heures où tout honnête homme mérite de dormir.

Fuite éperdue...

À peine ai-je admis que je dois être tolérant avec le Génie, qu’un brouillard opaque envahit la maison. Une odeur d’encens, mêlée de relents âcres du papier brûlé, me prend à la gorge. Le Génie, mécontent des pensées peu amènes à son égard, voudrait-il m’asphyxier ? En remontant, mouchoir sur le nez, la source de cette pollution, je découvre que notre propriétaire a choisi de faire brûler ses offrandes juste devant la porte qui donne sur la cage d’escalier, là où un puissant courant d’air pousse la fumée jusque dans nos chambres. Mon calme sérieusement entamé, j’installe deux ventilateurs pour rejeter vers l’importun les volutes de dons qui ne me sont pas destinés !

À peine le temps d’être satisfait de ma piètre vengeance que je vois surgir dans MA maison deux jeunes hilares, chargés d’outils plus ou moins contondants : marteau-piqueur, scie circulaire, pinces… Je n’y crois pas ! Il est 06h00 du matin, un dimanche, et un chantier de travail va s’ouvrir juste au-dessus du plafond de ma chambre. Et ça ne semble déranger qu’une seule personne : le Tây (Occidental) agité qui a oublié que le mot intimité rime avec promiscuité en vietnamien.

Quand notre propriétaire explique qu’il doit utiliser le balcon de ma chambre pour faire passer les tôles qui couvriront le toit, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Calme à l’extérieur, mais bouillonnant à l’intérieur, j’annonce à ma famille médusée que je vais louer une chambre d’hôtel pour la journée, seul espoir de me reposer et de travailler au calme. Je prends toutefois le soin de préciser que cette chambre sera ouverte à MA famille si le bruit des marteaux piqueurs lui devient pas trop insupportable.

Aussitôt dit, aussitôt fait, devant le «chủ nhà» éperdu qui ne comprend pas que je n’assiste pas à l’avancée des travaux ! Qu’importe, je préfère cette fuite face à l’indélicat plutôt que risquer une crise de nerfs aux conséquences imprévisibles. Surtout sur un toit où des outils tranchants traînent un peu partout…

À l’heure qu’il est, c’est donc dans une chambre d’hôtel que j’écris ces lignes, en attendant que ma femme me téléphone pour m’annoncer une accalmie sur le front de la construction. Juste le temps de retrouver ma sérénité !

Gérard BONNAFONT/CVN


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