Histoire de dire…

Il était une fois… C’est comme cela que commencent les légendes, et question légendes, le Vietnam en connaît un rayon. Installez-vous, aujourd’hui le merveilleux est au menu !

Il m’arrive parfois de jouer au rat de bibliothèque. Écumant les librairies et autres cafés-lecture, je farfouille parmi les ouvrages qui me tombent sous la dent pour dévorer des feuilles entières qui pourraient m’apprendre sur le Vietnam ce que j’ignore encore. C’est ainsi qu’au cours d’une de mes escapades, je suis tombé nez à page avec un recueil de contes et légendes du Vietnam. Une aubaine pour retourner en enfance, mais une aubaine aussi pour mieux comprendre la mentalité de ce pays qui m’accueille. Et je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager un peu de mes découvertes…

Mue de serpent
La première légende qui m’a surprise, c’est celle du serpent qui, devenu vieux, change de peau. Un air de déjà vu quelque part. Jugez-en plutôt !

Entre l’homme et le serpent : une vieille histoire !

«Au moment où l’Empereur de Jade créa l’homme, il décida que celui-ci ne connaîtrait pas la mort. Au terme de sa vie, il s’endormirait pour plusieurs jours, et au cours de son sommeil, sa peau se détacherait de son corps et il se réveillerait rajeuni, avec une nouvelle peau. Par ailleurs, pour une raison qui reste obscure, le même Empereur de Jade condamna les serpents à mourir à cause de leur cruauté. Pour faire exécuter cet ordre, l’Empereur de Jade envoya un génie sur terre. Or, quand l’envoyé du ciel toucha le sol, il tomba par mégarde dans le repaire des serpents. Aussitôt, les reptiles, qui avaient eu vent de l’affaire, encerclèrent le génie et le menacèrent : - Si vous n’inversez pas la décision de l’Empereur de Jade, nous vous étouffons dans nos anneaux !

Pas très courageux, le génie prit peur et inversa l’ordre en décrétant que, devenu vieux, l’homme mourrait et que le serpent changerait de peau. Et depuis ce temps-là, l’homme meurt et le serpent mue pour rajeunir.

Lorsque l’Empereur de Jade apprit la nouvelle, il entra dans une terrible colère et, ne pouvant revenir sur la décision prise, il décida de punir son envoyé spécial en le transformant en scarabée coprophage !!!».

Curieuse légende pleine d’enseignements. Et en premier, le curieux parallèle avec la croyance qui veut que dans un jardin d’Éden, une certaine Ève ayant suivi les conseils d’un serpent a contraint les hommes à abandonner la vie éternelle. Décidément, je commence à comprendre pourquoi dans ce village à côté de Hanoi, on prend un réel plaisir à manger du serpent, préparé de dix façons différentes. On pourrait avoir une dent contre lui à moins !

L’autre leçon, c’est que, à être génie, on n’en est pas moins faillible. Et c’est sans doute cette relation entre le génie et l’homme qui me surprend le plus. En effet, comme je l’ai déjà écrit dans des tranches de vie précédentes, les hommes vénèrent les génies et implorent leur protection en n’hésitant pas à leur édifier des temples somptueux, à leur offrir trésors et nourritures, à leur confier leur vie. Mais dans le même temps, si le génie ne répond pas aux prières de façon satisfaisante, il peut être sanctionné, voire révoqué !
J’ai ainsi lu quelque part que si un village était trop souvent inondé malgré les offrandes au génie protecteur du lieu, celui-ci pouvait être placé dans une bassine d’eau pendant un an pour qu’il se rende compte de ce que c’était d’avoir les pieds humides. Bon, vous me direz que c’est moins pire que d’être transformé en scarabée coprophage, comme le génie de la légende, mais n’empêche, être génie, ce n’est pas une sinécure !

Moue de génie

Parfois même, les génies nous font payer leurs vicissitudes, comme nous le révèle l’édifiante légende qui suit. Qui ne connaît pas l’histoire de Son Tinh et de Thuy Tinh ? Cela se passait en des temps reculés, à l’époque du 18e roi Hùng, de la dynastie fondatrice du Vietnam.

 
 

Il avait une fille, qui, comme le veut toutes les légendes, était d’une beauté extraordinaire et d’une vertu à toute épreuve. Pour lui trouver un mari digne d’elle, le roi envoya des hérauts par tout le pays. Évidemment, de nombreux candidats se présentèrent, mais aucun ne retint l’attention de la princesse. Le royal papa commençait à la trouver saumâtre, quand arrivèrent deux nouveaux prétendants : l’un au teint frais, du nom de Son Tinh, génie de la montagne par ailleurs ; et l’autre au teint bleuâtre, Thuy Tinh, génie des eaux quant à lui.
Pour démontrer ses aptitudes à être l’élu, Thuy Tinh y mit le paquet. Il appela le vent et la pluie, héla les éclairs et le tonnerre, et des trombes d’eau s’abattirent sur la terre, profondément secouée par la foudre. Pour calmer le jeu, Son Tinh leva simplement son bâton magique et le calme revint. Les plantes et les fleurs s’épanouirent sous un soleil radieux.

Face à ces exploits, la princesse était perplexe. Pour trancher, le roi décida d’accorder la main de sa fille à celui des deux qui lui apporterait en premier cent pains de riz collant, des éléphants à neuf défenses, des coqs à neuf ergots, et des chevaux à neuf crinières…

Sur ce coup-là, Son Tinh fût le plus rapide et c’est lui qui se présenta le lendemain dès l’aube. Ayant remis ses offrandes, il partit aussitôt en voyage de noce avec la princesse dans son palais des hautes crêtes. Quand Thuy Tinh arriva, il entra dans une violente colère, furieux d’avoir été pris de vitesse par son rival. Il déchaîna alors un véritable déluge qui submergea les récoltes et emporta les habitations des hommes.

Mais Son Tinh tînt bon. Il déplaça des chaînes de montagne pour endiguer les flots, et des collines poussaient au fur et à mesure que les eaux montaient.

Le combat dura plusieurs mois, mais finalement Thuy Tinh se fatigua et dut s’avouer vaincu. Il retourna dans son palais des eaux. Mais la rancune restait dans son cœur. Et chaque année, au 6e et 7e mois lunaire, il remet ça, en envoyant typhons et crues qui ravagent le pays.

Voilà pourquoi, depuis la nuit des temps, pauvres mortels que nous sommes, nous payons pour les déboires amoureux d’un génie ! Et celui-là, inutile de lui mettre les pieds dans l’eau, il en frétillerait d’aise. On pourrait sans doute aller se plaindre auprès de l’Empereur de Jade. Après tout, c’est lui qui a pris en main les affaires célestes et terrestres, en envoyant des génies pour fabriquer les étoiles, creuser des fleuves, vider les mers, planter les arbres, et même créer l’homme.

Mais ça, c’est une autre histoire !

Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN

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