Entretien avec l'artiste de charbon

Nguyên Tâm Nhân qui a passé le cap de la cinquantaine, fait partie d'une espèce rare au Vietnam. Il est peut-être le seul sculpteur à adopter comme matériau de son art le charbon minéral, la houille.

Nguyên Tâm Nhân (NTN) : De passage à Hanoi, je fais un saut chez vous. Pour le plaisir de vous revoir et de remercier votre fonds suédo-vietnamien pour la promotion de la culture de m'avoir aidé à organiser la dernière exposition de mes oeuvres.

Huu Ngoc (HN) : Vraiment, c'est une exposition pas comme les autres. Je ne pouvais imaginer qu'une masse si noire puisse faire rayonner toute une gamme de couleurs nuancées.

NTN : Sans doute grâce à l'amour. Le charbon, c'est mon amour. Notre famille de mineurs s'est installée dans les charbonnages de Câm Pha-Hông Gai depuis près d'un siècle. Je connais la région comme le fond de ma poche, les sentiers qui mènent à un filon, les galeries souterraines, les puits, les fourneaux, les wagonnets de charbon herschés sur les rails, les ateliers fourmillants... Depuis que j'ai vu le jour, le charbon nourrit mon corps et mes rêves.

HN : Sous l'angle culturel, qu'un matériau aussi peu esthétique que le charbon puisse inspirer un art tient du miracle. Dans notre culture traditionnelle, le charbon ne connote guère le beau mais plutôt le laid, le sale, ce qui dégoûte. Le métier de charbonnier était le lot des parias, c'est ce que disait le fameux poème du charbonnier composé au 13e siècle par le général disgracié Trân Khanh Du. Par toutes les cultures, la couleur noire évoque ce qui est froid, sinistre, négatif. On croit aussi que la houille, matière froide et rigide, cache une vie potentielle intense que seul le feu peut ranimer : vous avez apporté ce feu.

NTN : La taille sur charbon me demande sans cesse de rudes coups de colliers. C'est pour moi un défi constant. Il m'est arrivé de pleurer en tournant et retournant un bloc de charbon, des heures et des heures, sans savoir ce qu'il faut faire. Je me suis dit : il faut commencer et recommencer, apprendre et apprendre tous les instants, je regarde mes mains parfois impuissantes.

HN : Je pense à Valery qui parle de la main de l'artiste, égale et rivale de sa pensée.

NTN : C'est pas chose aisée pour moi, d'autant plus que mon ciseau est rebelle à un matériau qui n'a pas laissé des expériences comme le bronze, le marbre ou la terra cota.

H.N : Je me rappelle qu'en matière de charbon artistique, il n'y avait qu'un buste de l'artiste Van Hoè. Vous m'aviez dit que vous aimiez dessiner et mouler depuis votre enfance. Avez-vous reçu une formation régulière en tant que sculpteur ?

NTN : Professionnellement, je suis un technicien de la fabrication de la houille. Mais j'ai eu la chance de suivre les cours de l'École secondaire des beaux-arts et de l'École supérieure des beaux-arts industriels de Hanoi. Ce capital théorique m'a permis de suivre mon chemin tout seul, parce que le charbon n'a pas encore de tradition artistique. Depuis 35 ans, chaque statue est pour moi une nouvelle épreuve.

H.N : Combien de statues avez-vous taillé ?

NTN : Grosso modo, presque deux mille, petites et grandes. Chacune d'elle était pour moi une occasion de me découvrir, mes points forts et mes points faibles, afin de mieux maîtriser la matière inerte. Surtout avec les bustes...

H.N : ...qui demandent que vous découvriez l'âme des personnes dont vous faites le portrait en charbon.

NTN : Cette double découverte est passionnante.

H.N : J'aime vos bustes de mineurs, en particulier celui de "Tâm" qui me rappelle une statue dans une église gothique en France. Le sourire narquois caractérise bien le visage de l'écrivain Nguyên Tuân. Mais il me semble que vous êtes mieux à l'aise avec le style de l'abstraction, du cubisme, quand vous taillez vos bustes.

NTN : Je pense que le cubisme convient parfaitement aux portraits sculpturaux humains. Orienté par une vision subjective, le ciseau réduit les détails autant que possible pour révéler l'essence de l'objet humain sculpté.

H.N : Votre buste du peintre Nguyên Sang, très apprécié par son fameux confrère Nguyên Tu Nghiêm, est une réussite à ce sujet.

N.T.N : Depuis une dizaine d'années, je travaille sur Picasso. J'en ai fait plus de soixante bustes. Je continue toujours.

H.N : La sculpture sur charbon est un terrain vierge. Je vous souhaite d'avancer chaque jour plus loin dans ce terra incognita de l'art.

Propos recueillis par Huu Ngoc

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