À deux, ce n’est pas monotone

Impossible d’imaginer le Vietnam sans «xe máy» baptisées motocyclettes en d’autres lieux. Du nouveau-né au quasi centenaire, elles transportent des millions de Vietnamiens, au regard de millions de leurs compatriotes.

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On est tellement bien à deux.
Photo : CTV/CVN

Contrairement au déplacement en voiture, se promener en moto c’est se dévoiler à tous. À plus forte raison quand on voyage en couple. Ici, point de vitre en verre fumé pour masquer les conciliabules entre amoureux, les gestes tendres réservés au secret de l’habitacle, les échanges houleux ou paisibles derrière un pare-brise protecteur. En «xe máy», tout se déroule en public. Pour le plus grand bonheur de l’étranger doté d’une indiscrète curiosité.

Paravent viril

Un des premiers constats que pourrait faire l’étranger qui débarque au Vietnam, c’est qu’en matière d’égalité des sexes, c’est ici comme dans beaucoup d’autres pays : l’homme conduit, la femme se laisse conduire. Quand le couple pilote/passager est mixte, il est très rare de trouver au guidon l’élément féminin, ou alors c’est que l’élément masculin est trop obsolète pour conduire sans danger, qu’il a un handicap quelconque le rendant inapte à la conduite, ou que son jugement et son sens de l’équilibre sont profondément perturbés par le degré d’alcool contenu dans son sang.

Décidément, rien n’y fait : voiture ou moto, il faut que le mâle ait quelque chose à tenir entre les mains pour affirmer sa virilité. Toutefois, si la séparation des genres impose au pilote une attitude stéréotypée, à savoir, en règle générale, le torse droit, le regard fixé sur la route, et les mains maintenant fermement le guidon, il n’en est pas de même pour la passagère, qui peut, comme pour le maquillage, donner libre cours à son inspiration. Petit tour d’horizon des manières d’être transportée.

Voici la romantique. Tendrement lovée contre son amour de conducteur, elle l’enlace comme s’il risquait de s’envoler. Menton posé sur l’épaule de son prédécesseur (et oui, le mot est correct : qui précède), elle transforme le couple en un motard casqué bicéphale. Ses formes épousant celle de celui qu’elle épousera peut-être, elle épouse virages, cahots et freinage.

La moto est le moyen de transport le plus utilisé et prisé de la population vietnamienne.
Photo : CTV/CVN

Parfois, en les voyant ainsi fondu l’un en l’autre, je me demande comment ils font pour se désunir lorsqu’il s’agit de quitter la moto. Ceci étant cette attitude peut aussi avoir une autre signification que l’expression d’un attachement passionnel l’un à l’autre. En effet, il arrive souvent que mon épouse adopte cette position, lors d’escapades à la campagne ou par les jours agités des saisons fraîches. Même si je ne doute de ses sentiments vis-à-vis de ma modeste personne, j’ai appris à relativiser le message qu’elle cherche à me transmettre, quand je sens ses formes féminines le long de ma colonne vertébrale, et que ses bras entourent ma taille.

Les premières fois, j’exprimais ma satisfaction en faisant ce geste, totalement inconscient et tellement attendrissant : lâcher le guidon d’une main pour la poser tendrement sur le mollet ou la cuisse de sa passagère (selon la hauteur des cale-pieds arrières…). Ceci m’obligeant à bouger l’épaule du côté de ladite main, l’aérodynamisme de notre couple en était légèrement modifié, ce que ma femme me signifiait aimablement, mais fermement, en me demandant de revenir à ma position initiale de… paravent. C’est alors que j’ai compris qu’on pouvait aussi se blottir contre le pilote pour des raisons utilitaires. Mais laissons là cette cruelle désillusion, et continuons à observer ces couples motorisés qui nous côtoient !

Voilà les actives. Celles-ci considèrent la moto comme un lieu de travail. Elles lisent, téléphonent, comptent leur monnaie, fouillent dans leur sac, oubliant l’équilibre précaire du deux-roues, et ignorant totalement celui qui les conduit. Pour réussir cet exploit, il faut soit faire une confiance totale au pilote, soit être dans la totale inconscience que la préoccupation de la tâche à accomplir nous impose.

Le couple Công Vinh (footballeur) et Thuy Tiên (chanteuse) à moto.

Je dois dire, pour l’avoir vécu en tant que conducteur, qu’une telle attitude vous ramène à votre juste valeur. En effet, si vous avez la prétention de croire que vous êtes admiré pour la maestria avec laquelle vous vous faufilez dans les rues au guidon de votre magnifique moto customisée, vous vous rendez vite compte que vous n’êtes qu’une partie utile d’un moyen de locomotion destiné à assurer le confort et le déplacement de votre passagère. Au mieux, vous fera-t-on remarquer que vous roulez un peu trop vite ou de façon trop anarchique, ce qui dérange votre passagère dans ses occupations. Vacuité de la condition humaine.

Du geste à la parole

Voici encore les endormies. À l’opposé des précédentes, elles ont choisi d’utiliser le temps de transport pour se reposer. L’épaule du conducteur devient un oreiller, ce qui avec un casque est loin d’être confortable. En général, on les reconnaît facilement : le corps est avachi, les mains sont mollement entrelacées pour ne pas rompre la ceinture brachiale, la tête rebondit sur la partie supérieure du trapèze masculin au rythme des suspensions. Et on se demande par quel miracle le corps reste sur la selle dans les virages prononcés ? Sans doute une mutation génétique, due à l’utilisation précoce de ce mode de locomotion.

Et là, cette passagère agitée qui fait de grand gestes, comme si elle chassait des insectes importuns. C’est une représentante de la famille des bavardes. Contrairement à la voiture, dont l’espace clos favorise la discussion à vois feutrée, la moto n’autorise pas les mots susurrés, le soient-ils à l’oreille, casque, vitesse, et bruit ambiant oblige. Il faut donc parler d’une voix forte si l’on veut se faire entendre, au risque de dévoiler des propos intimes aux oreilles de ses voisins de feux de signalisation, et parfois joindre le geste à la parole. Geste que par ailleurs, le chauffeur a peu de chance de voir, sauf si, comme lorsque mon épouse veut m’indiquer de façon péremptoire une direction, les mains viennent d’agiter devant ses yeux, lui masquant momentanément la circulation.

Et je ne peux pas terminer cette étude anatomique des postures féminines à moto, sans évoquer les amazones. Non, n’allez pas imaginer que j’ouvre un chapitre sur ces dames qui utilisent la moto comme moyen de promouvoir leurs charmes ! Je fais simplement allusion à l’engouement de la Vietnamienne pour la jupe étroite. De plus en plus de femmes quittent le pantalon, vêtement traditionnel de la femme vietnamienne, et optent pour des robes ou des jupes, qui, pour la plupart, sont portées très près du corps. Eh oui ! La Vietnamienne n’a pas encore à masquer des rotondités incongrues, même si parfois elle en dévoile des insolentes.

Or, pour enfourcher une moto, la jupe étroite n’est pas très adaptée, et comme en équitation, la femme est obligée de choisir la monte en amazone, assise de profil, les deux jambes légèrement croisées, du même côté. J’ose risquer les foudres de la bienséance, en affirmant que le spectacle de ces élégantes aux jambes fuselées offre une certaine sensualité à la circulation encombrée de nos rues. Comme quoi, il ne suffit pas de faire de la moto, il faut aussi savoir se comporter en moto.


Gérard Bonnafont/CVN

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